Beaux livres

Charisme et génie

✒ Marie-Laure Turoche

Pour cette fin d’année, la Fondation Louis Vuitton a choisi de réunir deux artistes : Schiele et Basquiat. Tous les deux se sont dépêchés de peindre comme s’ils savaient qu’ils allaient mourir trop tôt. Deux expositions, deux catalogues mais une même fureur de créer qui fait de cette rencontre une évidence.

En parcourant ces deux catalogues, on est tout d’abord frappé par le talent indéniable de ces artistes mais aussi par la profusion des œuvres qu’ils nous ont laissées malgré leur courte vie. Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat sont décédés respectivement à 28 et 27 ans : « Deux météores explosés en plein vol, partageant la même précocité, un rythme toujours effréné et une énorme productivité où le corps est le lieu d’exacerbation d’une sensibilité à vif, dite par un dessin pratiqué de façon obsessionnelle », écrit Suzanne Pagé, directrice de la Fondation Louise Vuitton. Effectivement, Schiele et Basquiat étaient tous les deux de très grands dessinateurs qui travaillaient à une allure folle. Dieter Buchhart, le commissaire de l’exposition, va relever quatre lignes existentielles dans la carrière d’Egon Schiele qui vont également définir la composition de son catalogue. Tout d’abord, la ligne ornementale qui décrit les débuts d’un Schiele encore sous l’influence de Klimt. Puis comment il va se détacher de son maître pour aller vers une ligne expressive. Fortement marqué par un passage en prison, Schiele va rechercher un équilibre, que ce soit dans la représentation des corps ou de l’espace. Vers la fin de sa vie, sa ligne va se fragmenter. On parle de « ligne amputée ». Les corps seront souvent tronqués mais aussi plus volumineux comme le témoigne ce tableau, « Torse féminin en dessous et en bas noirs » (1917). Profondément moderne comme le démontre Jean Clair, il n’est pas étonnant qu’un certain Jean-Michel Basquiat fasse partie de ses admirateurs. Feuilletant le catalogue qui lui est consacré, je ne peux m’empêcher d’être soufflée par son charisme. Vu le nombre de photos de l’artiste qui composent ce livre, il est évident que l’homme fascine autant que son œuvre. Artiste de rue à ses débuts, les toiles ont toujours semblé trop petites à sa vision du monde. Okwui Enwezor explique que nombreux sont ceux qui restent indifférents à l’œuvre de Basquiat parce qu’ils ne savent pas l’expliquer. L’artiste disait que sa peinture était « 80 % de colère ». Il faut ressentir, non pas comprendre. Tous les articles de ce catalogue démontrent son côté avant-gardiste et son style inimitable. Influencé par la culture africaine et haïtienne mais aussi par le jazz, les peintures de Basquiat sont des explosions de couleurs et de symboles. On a beaucoup parlé de modernité pour ces artistes mais la modernité est une notion relative. Egon Schiele a écrit : « L’art ne peut pas être moderne. L’art est depuis toujours éternel. » Les deux peintres illustrent parfaitement ce propos.