Littérature étrangère

Elif Shafak

Crime d’honneur

  • Elif Shafak
    Traduit de l’anglais (Turquie) par Dominique Letellier
    Phébus
    28/03/2024
    464 p., 23 €
  • Chronique de Guillaume Chevalier
    Librairie Mot à mot (Fontenay-sous-Bois)
  • Lu & conseillé par
    10 libraire(s)
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Chronique de Guillaume Chevalier

Librairie Mot à mot (Fontenay-sous-Bois)

« Mon honneur m’est plus cher que ma vie » a dit Miguel de Cervantès. Cette citation s’applique parfaitement au dernier roman de l’auteure turque Elif Shafak. Des rives de l’Euphrate à la ville de Londres, voici l’histoire d’une famille où chacun cherche sa place. Mais la trouve-t-on jamais ?

Crime d’honneur est le récit de la manière dont on finit par blesser les gens qu’on aime le plus. C’est la tragédie d’un clan mi-turc mi-kurde dans le Londres de la fin des années 1970. Immigrés tiraillés entre tradition et libération des mœurs, tous les membres de la fratrie se cherchent, se perdent et se déchirent. Il y a le benjamin, Yunus, au tempérament doux et rêveur, la cadette et seule fille, Esma, avide de liberté et, surtout, d’égalité avec les hommes de sa communauté, notamment son grand frère Iskender. Iskender l’aîné, le favori, le « sultan » de leur mère, guidé par cette notion d’honneur omniprésente et destructrice, est celui par qui s’exprime toute l’ambivalence et la frustration d’une lignée. La mère, Pembe, a une sœur jumelle restée au pays, Jamila, qui exerce un métier de guérisseuse autour duquel gravitent beaucoup de superstitions. Ce contraste géographique et familial des deux sœurs les oblige toutes deux à affronter leurs conflits intérieurs et à puiser au fond d’elles-mêmes le courage nécessaire à l’émancipation. Dans un système traditionnel verrouillé par le patriarcat, où les femmes n’ont d’autre perspective que la vie au foyer et l’obéissance permanente aux hommes de la famille, où l’amour même doit s’effacer face aux traditions, la confrontation au mode de vie britannique est bouleversante. La finesse psychologique des personnages se conjugue à une écriture très réaliste pour nous offrir un roman doté d’une rare puissance émotionnelle. Elif Shafak pense chaque livre comme « une sorte d’immeuble avec de multiples portes d’entrée et de sortie, des couloirs, des pièces, plusieurs étages. » Cette complexité amène le lecteur à réagir, à interpréter le livre de manière très personnelle. C’est peut-être là la force des grands romans.

 

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