Irvin Yalom est un psychiatre et psychothérapeute de renom. À 83 ans, c’est l’œuvre d’une vie qu’il partage avec nous. Créatures d’un jour est une succession de consultations entre le docteur Yalom et différents patients, qui place le lecteur comme spectateur de ces moments de vie livrés avec toute la qualité d’écriture d’un auteur qui n’a plus à faire ses preuves. Dix patients, dix histoires de thérapie que l’on va voir naître, vivre et se conclure, parfois de manière inattendue. Au cœur de leurs problématiques se trouve, d’une manière ou d’une autre, le rapport à la mort. De la peur de mourir avant d’avoir accompli tout ce que l’on souhaitait, à la gestion du deuil, toutes ces histoires nous interrogent, nous étonnent, nous émeuvent. L’auteur met l’accent sur l’importance absolue d’une relation de qualité entre patient et thérapeute pour faire progresser l’analyse. C’est alors que l’on découvre un Irvin Yalom qui s’éloigne de la traditionnelle neutralité du thérapeute et qui se livre, exposant certaines faiblesses dans l’optique de construire un lien de confiance décisif pour la réussite d’une thérapie. La profondeur, la sensibilité, l’humanité d’Irvin Yalom font de Créatures d’un jour un livre universel et bouleversant.
Page — Dans Créatures d’un jour, vous partagez avec vos lecteurs l’intimité de votre travail de thérapeute, en nous livrant des morceaux de consultations avec une dizaine de patients. Comment vous est venue l’idée de ce livre et comment avez-vous choisi les histoires que vous vouliez retranscrire ?
Irvin Yalom — Après avoir terminé mon dernier roman, Le Problème Spinoza (Le Livre de Poche), je savais que je n’écrirais pas un autre roman. C’est trop éprouvant pour quelqu’un de mon âge. Je savais que je voulais écrire des livres plus courts. Mon approche pour ce livre a été de parcourir le dossier « Idées pour des histoires » sur mon ordinateur, où j’avais enregistré pendant des années les cas les plus puissants, les plus intéressants de mon travail de thérapeute. J’ai donc commencé par me plonger dans cet immense dossier pour y lire ces cas, puis relire et relire encore ces cas jusqu’à ce que l’un d’eux sorte du lot et que j’en écrive l’histoire. Je sais que cette démarche paraît étrange, mais je n’ai pas de façon plus claire de l’expliquer. Une fois l’histoire sélectionnée tout est plus facile pour moi car j’adore écrire. En revanche, la période entre l’écriture de deux histoires n’a cessé de s’allonger car il devenait plus difficile que l’une d’elles se démarque des autres.
P. — Les patients que vous évoquez dans ce livre ont tous des profils et des vies très différentes, mais leur rapport à la mort est au centre de leurs problématiques. Vouliez-vous dès le départ écrire un livre sur notre rapport à la mort ?
I. Y. — Non je n’ai pas pensé à cela et je n’avais aucun thème particulier que je souhaitais aborder. Je voulais que ce soit un ouvrage pédagogique pour les jeunes psychothérapeutes. Tous mes travaux partent de cette idée, car mon métier de professeur d’université est une composante très importante de mon identité. La première histoire, « Une cure tortueuse », est une façon d’examiner les facteurs qui font qu’il se produit des changements dans l’expérience de la thérapie. Ce ne sont pas toujours ceux que l’on avait imaginés en premier et qui sont à l’origine des symptômes. La plupart des histoires de ce livre servent à prouver que la relation patient/thérapeute est absolument primordiale. Une fois que celle-ci est établie et qu’une relation de confiance véritable existe, alors le patient pourra tirer de celle-ci quelque chose de puissant ou bien encore quelque chose que l’on n’aurait jamais imaginé. C’est vrai pour la première histoire et pour beaucoup d’autres, dont celle qui donne son titre à ce livre.
P. — Tous vos romans sont parrainés par une grande figure de la philosophie. Concernant Créatures d’un jour, il s’agit de Marc Aurèle. Quel lien faites-vous entre philosophie et psychologie ?
I. Y. — Lorsque j’étais étudiant en psychiatrie et que j’assistais aux cours sur les origines de notre discipline, sur la façon dont ça a commencé au XIXe siècle à travers les contributions de Freud et Jung, j’ai été frappé de voir tout ce qui avait été mis de côté et que nous n’abordions pas. J’ai toujours été un gros lecteur de romans et j’admire les romans psychologiques comme ceux de Dostoïevski, Stendhal ou Tolstoï, et leur perspicacité vis-à-vis de la psyché humaine. J’ai ensuite pensé à tous ces grands philosophes, à commencer par les Grecs anciens, et il m’a semblé important d’en tirer quelque chose sur lequel nous pourrions nous appuyer maintenant, en matière de psychologie. c’est en grande partie l’œuvre de ma vie.
P. — Beaucoup de vos patients vous parlent de vos romans et de ce qu’ils en ont pensé. Cela vous gêne-t-il ? Pensez-vous que cela peut biaiser le lien thérapeutique ?
I. Y. — Je dirais que 100 % des patients qui viennent me voir ont lu quelque chose que j’ai écrit et, non, cela ne me dérange pas du tout. Si je devais dire quelque chose là-dessus, ce serait plutôt que ça aide la thérapie à progresser plus rapidement. Je souhaiterais dire quelque chose à propos de la confidentialité. Je fais très attention d’obtenir la permission des patients pour raconter leur histoire. Lorsqu’on lit le livre, il est impossible de les reconnaître car j’ai potentiellement tout modifié : l’âge, l’apparence et parfois le sexe. Je n’ai jamais eu un patient qui était inquiet d’apparaître dans un livre. En revanche, j’ai eu quelques patients qui se souciaient de ne pas être assez intéressants pour y figurer.