Littérature étrangère
Toni Morrison
Récitatif
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Toni Morrison
Récitatif
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christine Laferrière
10/18
07/09/2023
6,40 €
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Chronique de
Alexandra Villon
Librairie La Madeleine (Lyon) - ❤ Lu et conseillé par 33 libraire(s)
✒ Alexandra Villon
(Librairie La Madeleine, Lyon)
Publiée pour la première fois en 1983 aux États-Unis et en France l’année dernière, l’unique nouvelle de Toni Morrison, Récitatif, passe en poche aux éditions 10/18. Une occasion pour les nouvelles générations de s’intéresser à l’œuvre d’une des plus grandes autrices afro-américaines.
À l’instar de l’essai Femmes, race et classe de son amie Angela Davis, sorti la même année, la seule nouvelle de l’immense Toni Morrison gravite, en peu de pages, autour de ces thématiques qui font la matière de toute son œuvre : la situation des noirs aux États-Unis, de l’esclavage à la discrimination en passant par la ségrégation. Toni Morrison s’intéressait aux opprimés et plus particulièrement aux femmes au sein de la communauté noire, mettant en lumière cette « triple peine » d’être une femme pauvre et noire au États-Unis ; un sexe faible, sans statut social et de race inférieure. Dans Récitatif, deux petites filles de 8 ans se rencontrent à l’orphelinat de St-Bonaventure dans les années 1950. Twyla et Roberta deviennent tout de suite amies et ce malgré leur différence : l’une est blanche et l’autre noire. Séparées ensuite par la vie, elles vont être amenées, à plusieurs reprises, à se recroiser furtivement et se remémorer, tant bien que mal, un souvenir confus et gênant de leur enfance qui concernait Maggy, une vieille femme qui travaillait à St-Bonny. Comme elle l’exprimait dans son essai Playing in the dark, Toni Morrison voulait, avec Récitatif, faire « l’expérience d’ôter tous les codes raciaux d’un récit concernant deux personnages de races différentes pour qui l’identité raciale est cruciale ». En installant ce caractère racial différent entre ses deux protagonistes, mais qui n'est jamais révélé, Toni Morrison invente un curieux jeu de piste qui pousse le lecteur – objet de l’expérience et inspecteur déçu – à tomber dans ce piège d’appliquer au texte une grille de lecture sociale et raciale et à interroger les préjugés et déterminismes raciaux qui régissent nos sociétés. Ce conte moderne, malicieux met en scène un trouble qui ne dit jamais vraiment son nom où les goûts vestimentaires, culinaires, musicaux des personnages apparaissent comme de possibles indices d’ethnicité. Bien sûr, il n’en est rien, puisque Toni Morrison joue avec les codes et s’amuse à nous perdre, convoquant l’idée d’un miroir déformant qu’il faudrait dépouiller de tous nos préjugés. Simple mais magistral. À partir de septembre, les éditions 10/18 rééditeront plusieurs textes de Toni Morrison, ornés de nouvelles couvertures. Une belle occasion de les découvrir ou de s’y replonger car, comme le démontre bien Récitatif, si les histoires gravées dans la mémoire collective ne changent pas, le regard des nouvelles générations sur elles, fruit de l’évolution des sociétés, a ce pouvoir de métamorphose.