Littérature française

Philippe Claudel

Fantaisie allemande

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Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

Dans ce court récit aux allures de partition musicale, Philippe Claudel s’intéresse à la mémoire et à la culpabilité d’une Allemagne gangrénée par son Histoire, dévoilant des traces profondément enracinées.

Comme un mauvais présage, comme une trace indélébile, Philippe Claudel donne le la de sa fantaisie en citant en exergue de son roman une phrase de Thomas Bernhard qui va résonner d’une manière funeste tout au long de son texte : « L’Allemagne a une haleine de gouffre ». Y-a-t-il encore et toujours quelque chose de pourri en Allemagne ? S’agit-il de cet « air de drame et de mélancolie » dont parlait Pierre Mac Orlan, également cité en exergue ? Cinq textes composent cette « fantaisie » qu’il est heureux de prendre dans son acception musicale et non au pied de la lettre. Car il n’y a rien de fantaisiste dans ce tableau d’une Allemagne rongée par un passé tragique et par le souvenir de la Shoah, marqué au fer rouge dans la mémoire collective. Claudel égrène au sein de ces cinq textes disparates un prénom, « Victor », qui agit comme un fil rouge et comme l’indice d’un secret, d’une trace qui ressurgit de manière fugace. L’auteur raconte l’histoire d’un soldat allemand, sans doute déserteur. Puis celle d’un homme âgé qui rêvasse, rappelant à lui le souvenir érotique d’une mystérieuse femme brune. Celle de ce vieil homme qui va bientôt mourir, maltraité par une adolescente paumée et qui fredonne parfois des chants nazis. L’histoire encore de Franz Marc, peintre expressionniste allemand, qui aurait été victime, en 1940, de l’Aktion T4, protocole nazi d’extermination des malades mentaux, maquillé par le terme « Gnanentod » (mort miséricordieuse). L’histoire de cette petite fille juive enfin, rescapée des camps, qui tombe sur le corps calciné d’un soldat allemand dans une usine désaffectée. La mémoire en souffrance et la culpabilité d’un peuple affleurent par petites touches, entrent en résonnance pour former ce mystérieux patchwork qui interroge autant qu’il fascine par sa singularité.

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