Bande dessinée
Jean Dytar
Florida
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Jean Dytar
Florida
Delcourt
02/05/2018
264 pages, 27,95 €
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Chronique de
Alexandra Villon
Librairie La Madeleine (Lyon) -
❤ Lu et conseillé par
9 libraire(s)
- Laurence Behocaray de I.U.T. Carrières sociales, Université (Tours)
- Agnès Le Jallé de Contact (Angers)
- Marianne Kmiecik
- Audrey Dubreuil de Ellipses (Toulouse)
- Mathilde Boudinet
- Coralie Rabaud de La Bulle (Mazé)
- Valérie Schopp de L'Arbre à mots (Rochefort)
- Alexandra Villon de La Madeleine (Lyon)
- Manon Beghin de Les Lisières (Villeneuve-d'Ascq)
✒ Alexandra Villon
(Librairie La Madeleine, Lyon)
Jean Dytar s’intéresse, dans sa troisième bande dessinée, aux expéditions coloniales des Français en Floride, à travers les souvenirs du cartographe Jacques le Moyne de Morgues. Mêlant réalité historique et imaginaire, Florida offre une réflexion plurielle et édifiante sur notre manière de percevoir le monde.
Trois navires conquérants, toutes voiles gonflées, s’approchent d’un rivage aux contours vaporeux et verdoyants, fendant l’eau claire et tranquille. La couverture harmonieuse et paisible de Florida ne laisse en rien deviner le drame qui va se jouer sur ce territoire encore à défricher et déchiffrer, cerné par les conquêtes espagnoles et peuplé d’indigènes, les Indiens Timucuas. En 1562, l’Amiral Gaspard II de Coligny, animé par des velléités de conquêtes géopolitiques, lance des expéditions en Floride qui s’achèveront en 1565 par des massacres dont le cartographe Jacques le Moyne de Morgues sera un des rares survivants. Rien ne restera de cette expédition que les souvenirs de ce dernier, recréés en gravure par le libraire-éditeur Théodore de Bry et rassemblés dans un ouvrage imprimé à Francfort en 1591. En plus de choisir ce personnage historique comme figure centrale de son histoire, Jean Dytar a fait le choix d’insérer, au sein de son récit, des reproductions numérisées de ces gravures, produisant une sensation enivrante d’authenticité. Une authenticité que l’on retrouve dans la manière de retranscrire cette expédition en Floride : l’auteur utilise le prisme du souvenir, longtemps dissimulé, raconté par Jacques le Moyne à sa femme Éléonore. Personnage inventé de toutes pièces, Éléonore n’en est pas moins indispensable à l’histoire, véritable moteur du récit par son point de vue féminin, sa sensibilité, sa position de mère au foyer plongée dans une vie quotidienne éloignée de toute forme d’aventure, mais bouillonnante de curiosité et d’humanité. Dytar l’imagine fille et épouse de cartographe, femme en quête d’un Ailleurs que les cartes et dessins de ces explorateurs d’un autre genre, préoccupés de contours et d’ordres de grandeur, semblent lui dévoiler. Si Jacques le Moyne est le personnage de l’Histoire, Éléonore est sans conteste celui de l’imaginaire. Le récit du présent et celui du souvenir raconté se succèdent et alternent, le changement de point de vue et de temporalité se matérialisant graphiquement par des teintes et des nettetés différentes, permettant à cette mystérieuse exploration d’être livrée en décalage, à travers le voile flou, syncopé et quelque peu déformé du souvenir, sorte d’ombre portée d’un récit historique dérobé. Florida est une bande dessinée infiniment dense, regorgeant de ramifications, réfléchie et originale, parce qu’elle s’appuie avec fermeté sur l’Histoire pour mieux s’en détacher et la dépasser en allant vers l’intime et l’universel. Après Le Sourire des Marionnettes et La Vision de Bacchus, Jean Dytar, véritable orfèvre du détail, nous offre à travers une bande dessinée intelligente et minutieuse, une nouvelle perception de ce que peut être l’Histoire. C’est une vraie réussite.