Polar

Sébastien Rutes

Mictlan

illustration

Chronique de Alexandra Villon

Librairie La Madeleine (Lyon)

En 2018, au Mexique, un camion réfrigéré transportant près de 300 cadavres est découvert. De ce terrifiant fait divers, Sébastien Rutés tire la matière d’un étrange et violent roman noir, teinté de spiritualité.

C’est parce que ce camion dégageait une odeur pestilentielle, attirant la convoitise des charognards et l’attention des villageois, que son chargement a finalement été découvert, déclenchant un scandale au Mexique. Le procureur et le médecin légiste de Guadalajara n’avaient trouvé que cette solution de tombeau ambulant pour désengorger les morgues submergées de cadavres, en attente d’autopsie. Partant de cette histoire vraie, Sébastien Rutés livre un conte absurde et cruel, situé dans un pays qui n’est jamais nommé. Deux hommes, Gros et Vieux, conduisent dans le désert un camion qui transporte 147 cadavres. Pas mieux que de la viande en transit. Le Gouverneur du pays a choisi de dissimuler aux yeux du monde ces cadavres gênants le temps des élections. Les consignes sont simples et les menaces on ne peut plus claires : les deux hommes ne doivent s’arrêter sous aucun prétexte sous peine de se retrouver également à l’arrière du camion. Et le chemin, cette boucle incessante dans le désert, ne sera évidemment pas un long fleuve tranquille pour ces deux pauvres hères condamnés à ce huis clos funeste. Gros a le cœur sec et endurci d’avoir été malmené par la vie et Vieux, au bord de la folie, crie dans son sommeil le prénom de sa fille morte. Ces deux-là n’ont plus rien à perdre. Ils sont eux aussi de la viande en sursis. Il y a pourtant une échappatoire à toute cette violence, que le titre du roman fait résonner comme une promesse : le Mictlán, région de l’au-delà que les morts doivent parcourir pour libérer leur âme, dans la mythologie aztèque. Le roman de Rutés est à l’image de ce road trip absurde : parcouru par un souffle court et fétide, et peuplé de voix obsessionnelles et désespérées. Il raconte avec fièvre la course sombre et aliénée du monde des vivants, qui cherche son salut.

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