Polar

Dominique Sylvain

Une femme de rêve

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Chronique de Maria Ferragu

Librairie Le Passeur de l'Isle (L'Isle-sur-la-Sorgue)

Dominique Sylvain signe, avec ce dix-huitième opus, un de ses romans les plus originaux et les plus aboutis. Toujours plongée avec virtuosité dans le roman noir, elle explore aujourd’hui, dans une intrigue résolument contemporaine, les comportements humains aux frontières du fantastique et de l’onirique.

La France est en émoi, un de ses criminels les plus dangereux, Karmia, braqueur de banques multirécidiviste, sans états d’âme, vient de se faire la belle dans une évasion spectaculaire, aidé par sa fille Nico. Pour assurer sa fuite, il a enlevé Adèle, mère de famille et intervenante en prison. C’est ce court résumé qui résonne sur toutes les chaînes et que regarde Schrödinger, ancien flic devenu agent de sécurité triste et désabusé. Les amateurs de physique quantique y verront d’ailleurs un clin d’œil au célèbre philosophe et physicien incarné par ce personnage vivant physiquement mais à moitié mort émotionnellement et humainement depuis que Karmia lui a arraché la femme qu’il aimait et l’a plongée dans un coma dont elle ne semble pas prête de sortir. Commence alors une cavale à travers la France. Karmia, avant de prendre la fuite à l’étranger, a bien l’intention de retrouver une de ses anciennes conquêtes, Laurence, qui vit en pleine forêt et se passionne pour les bruissements et les silences de celle-ci. Une sérénité du quotidien qui va être bouleversée par l’arrivée des malfrats père et fille. Un père exalté, sûr de sa supériorité et de son emprise, et une fille brillante, froide et calculatrice qui, si elle semble soumise, a aussi sa part de secrets. Gardienne d’un sac d’une grande valeur qui permettra leur fuite en Amérique du Sud et contenant un ordinateur rempli de bitcoins, elle ne semble s’intéresser qu’à la possibilité de retrouver sa mère. Dominique Sylvain fait preuve une nouvelle fois d’une grande virtuosité en nous proposant une intrigue rythmée et addictive. Elle ancre ses thématiques dans notre époque et nous livre aussi un grand roman écologiste et mondialiste, où se côtoient bitcoins et activistes. Malgré ces sujets « sérieux », elle s’autorise un pas de côté en nous entraînant dans les pensées, les rêves, d’une femme en prise avec un monde étrangement onirique, aux frontières du fantastique et de l’inquiétant. Des incursions qui viennent rythmer l’intrigue de façon régulière jusqu’au dénouement. Elle fait aussi la part belle à des personnages féminins envoûtants, des femmes rêvées, des femmes fantasmées, des femmes qui rêvent, mais toujours des femmes fortes ! Dans ce roman où elle a voulu changer de posture et s’intéresser plus aux victimes qu’aux coupables, elle révèle aussi la part d’inhumanité ou de faiblesse qui réside en chacun et démontre ainsi que la frontière entre le bien et le mal est parfois plus ténue qu’on pourrait le penser.

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