Littérature française

Noëlle Michel

Bienvenue au Néandertal Show !

Entretien par Maria Ferragu

(Librairie Le Passeur de l'Isle, L'Isle-sur-la-Sorgue)

Noëlle Michel signe un roman très réussi. Une pure fiction, haletante et passionnante, qui questionne des thèmes importants de notre époque. Rapport à l’image, au profit, domination de l’homme sur la nature, dérives de la science sont autant des sujets abordés dans ce texte aux accents dystopiques.

Comment des scientifiques ont-ils eu l’idée de recréer l’homme de Néandertal ?

Noëlle Michel - Ce livre raconte la rencontre entre Homo Sapiens et Néandertal, pas telle qu’elle a pu avoir lieu à la Préhistoire mais dans un futur proche. Deux histoires s’entremêlent. Celle de l’aventure de la « désextinction » de Néandertal. Et celle d’un clan de Néandertaliens à travers notamment le personnage de Lune Rousse, une femme libre d’une quarantaine d’hivers qui se pose des questions sur les mythes qui structurent la vie du clan. Un jour, elle va rencontrer « des drôles d’humains » qui lui ressemblent beaucoup. Ce sont des Sapiens qui viennent à la rencontre de son clan avec un projet bien précis mais rien ne va se passer comme prévu.

 

Pourriez-vous nous dire ce qu’est « Néan Story » ?

N. M. - L’idée de ces scientifiques mégalomanes, c’était de recréer un clan de Néandertaliens et ensuite de les laisser vivre en autarcie dans une sorte de réserve naturelle qui leur était dédiée et de rajouter des caméras pour les Sapiens qui s’ennuient dans les villes. « Néan Story » est donc une émission de téléréalité dont les héros sont les Néandertaliens.

 

Jusqu’à l’arrivée de nouveaux personnages dans le jeu, ils vivent avec leurs croyances. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez construit ces légendes ?

N. M. - Elles ont été très agréables à inventer. Ce sont les Sapiens qui jouent aux apprentis sorciers, qui forgent ces légendes pour structurer le clan, lui donner un passé, une culture. Cela peut paraître poétique mais les Sapiens utilisent ces légendes pour les contrôler. C’est le cas de la légende des Confins. Les « Néan » pensent vivre sur une terre fermée, entourés par le souffle des déesses qui les ont créés et qui les protègent. En fait, ce souffle est un champ de force qu’ils ne peuvent pas traverser.

 

Lune Rousse est une femme forte, engagée dans son clan et l’héritière d’une lignée de femmes. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur elle ?

N. M. - Ce roman était l’occasion pour moi de battre en brèche des clichés. J’ai essayé de le faire au regard des connaissances scientifiques qui permettent d’avoir une image différente des femmes à la Préhistoire. Elles ne restaient pas forcément dans les cavernes à attendre le retour des hommes ! J’ai eu l’occasion de visiter des grottes où il y a beaucoup d’empreintes de mains. En fonction de la taille, on sait qu’il y a des empreintes de femmes et on peut imaginer qu’elles faisaient, tout comme les hommes, beaucoup de choses. Lune Rousse est donc à cette image, elle prend sa place dans le clan, elle chasse, elle peint…

 

Pour ce roman, avez-vous fait vérifier vos propos par des spécialistes ?

N. M. - J’ai une vraie appétence pour la documentation scientifique donc j’ai pris beaucoup de plaisir à me plonger dans les dernières découvertes liées à Néandertal. J’ai fait relire ce livre à Marylène Patou-Mathis qui est une grande préhistorienne et nous avons eu des échanges. Mon livre est une fiction, mais j’avais à cœur de rester au plus près de l’état des connaissances et des hypothèses actuelles.

 

On parle de la domination d’Homo Sapiens sur la nature et la question est de savoir si, malgré la capacité scientifique, on doit tout s’autoriser ?

N. M. - Pour ce qui est du rapport à la nature, ce n’était pas forcément un enjeu au départ, mais en décrivant la vie quotidienne des Néans, qui sont tellement proches d’elle, par contraste avec la vie des Sapiens dans les villes, cette problématique a émergé d’elle-même. Les spécialistes pensent que Néandertal avait un rapport différent à la nature, comparé à Homo Sapiens : ils étaient moins dans un rapport de domination. J’ai voulu jouer avec ça dans le roman pour montrer que ces deux mondes sont différents, tout en leur trouvant des points de convergence dans leurs préoccupations, dans une sorte d’effet miroir.

 

Les scientifiques du roman s’interrogent-ils sur le bien-fondé de leurs actions ?

N. M. - C’est un autre aspect éthique de la démarche des scientifiques. Ils jouent aux apprentis sorciers et veulent prendre la place de Dieu. Ce qui compte, ce n’est pas la question du progrès technologique et scientifique mais de se demander si on est condamné à mettre en application tout ce qu’on arrive à découvrir, dès lors qu’une technologie apparaît.

 

Des scientifiques ont eu l’idée de recréer l’homme de Néandertal. Ce qui devait être une expérience scientifique hors du commun est finalement devenu un business lucratif que peu de gens veulent voir s’arrêter. Une caméra filme en continu un clan de Néandertaliens qui divertissent sans le savoir des Sapiens blasés. L’audience baisse et pour la relancer, la production prévoit l’intégration d’un groupe de comédiens mais la machine déraille ! À travers une habile construction, faite d’allers-retours narratifs, l’auteure nous dévoile un roman addictif porté par des femmes, éprises de liberté et qui portent en elles un souffle de vie qui en fait les grandes héroïnes de ce roman jamais moraliste et toujours juste.

 

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