Pourriez-vous nous dire un mot de ce premier roman, même si, comme vous le disiez, il n’est pas si facile à résumer ?
Céline Laurens - C’est effectivement un dualisme à la française : on part du principe qu’il y a une trame et que l’on peut résumer un livre. En ce qui me concerne, je pars plutôt d’une littérature d’impression qui est une littérature basée sur les personnages. C’est donc l’histoire d’un clan de gitans qui arrivent à Lourdes pour leur pèlerinage annuel. Mon narrateur en fait partie et naît avec le don de préscience. La Grande Dora, la doyenne du clan qui discute avec ses ancêtres morts en fumant sa pipe, a pris en charge son initiation. Il règne tout au long du roman une chaleur écrasante. Si l'on dit souvent que quand les gitans arrivent à Lourdes, il se met à pleuvoir, ici ce ne sera absolument pas le cas, ce qui exacerbera les tensions. Notamment avec l’arrivée d’un étranger vêtu de noir – libre à chacun d’interpréter qui il est – alors qu’il se déroule des événements tragiques qui vont amener le clan à une remise en question existentielle : faut-il se sédentariser ou continuer cette vie nomade ?
Cet événement tragique est mentionné sur la quatrième de couverture : on sait donc qu’une des petites filles de la communauté va être retrouvée morte. Pourtant ce décès n'arrive que très tardivement dans l’intrigue. Avez-vous quand même construit le livre autour de ce drame ?
C. L. - Effectivement, je l'avais prévu dès le départ mais ce qui compte pour moi, ce sont les personnages. Quand je pense que le lecteur a eu le temps de s’attacher à eux, je mets en place l’intrigue. Mon intention première était toutefois de montrer Lourdes, de présenter le clan et de confronter les différents imaginaires que le roman brasse : l’imaginaire gitan, l’imaginaire des pèlerins, les légendes qui se murmurent dans les foyers...
Dites-nous un mot au sujet de Pépino et Don Diego, deux personnages particulièrement hauts en couleur !
C. L. - Don Diego est un collectionneur compulsif de courges qu’il considère comme sa propre famille ! Il a d’ailleurs déshérité sa fille pour faire vivre à sa place une courge très pulpeuse ! Quant à Pépino, c’est un loufoque, l’avarice faite homme ! Il a des idées saugrenues pour faire grossir son bas de laine et il s’arrange toujours pour faire accuser sa femme Gina de tous ses maux alors qu’elle est morte depuis des années !
Même si ces personnages amènent de la légèreté dans le récit, il y a aussi des personnages très sombres, l’homme en noir et puis Livio.
C. L. - C’était important que le mal vienne du clan. Cet adolescent incarne pour moi le pire des défauts, qui est l’envie. Il est aussi sadique, il aime faire du mal aux animaux, rechercher où réside l’étincelle de vie…ou peut-être de mort !
Bien que ce texte soit ancré dans la chaleur suffocante d'un été, le récit est ponctué par des légendes racontées par la Grande Dora qui fait perdurer la transmission orale.
C. L. - Il s’agit effectivement de contes qui viennent s'insérer dans le roman pour nous donner envie de continuer à le lire ! Il s’agit de veillées collectives où la mémoire est transmise de génération en génération.
On est à Lourdes, la religion est très présente mais pourtant, vous paraissez davantage vous intéresser aux croyances populaires.
C. L. - Je pense que ce sont surtout les mythologies personnelles de chacun des personnages qui importent. Dans l’idée de la communauté gitane, ce qui me séduisait, c’était aussi de travailler sur les éléments, notamment celui de l'air qui leur est attaché : ils sont les fils du vent et j'ai déployé tout un lexique à cet effet.
Le roman est en permanence ancré dans une dualité, les gadjis face aux gitans et, à la fin, la nécessité de faire un choix de vie entre la sédentarité et le nomadisme.
C. L. - Il était important d’éviter tout manichéisme. Je voulais confronter différentes visions du monde en donnant à chacune sa place, sans jugement. Mon plus grand souci est que vous vous attachiez aux personnages, quels que soient les choix qu’ils sont amenés à faire !
À propos du livre
Au cœur d’un été suffocant, un clan de gitans se retrouve à Lourdes pour leur pèlerinage annuel. Le narrateur tombe amoureux d’une gadji, renoue des amitiés avec quelques sédentaires, travaille et vit en harmonie avec les siens, une joyeuse troupe solidaire et soudée, malgré quelques éléments perturbateurs. L’arrivée d’un homme en noir, étranger à la communauté, mais à qui on ne peut refuser l’hospitalité, est le premier signe d’un changement à venir. Quand la jeune Sarah est retrouvée morte, c’est tout l’équilibre du groupe qui vole en éclats, questionnant les aspirations de chacun au changement ou au contraire à la poursuite d’une vie nomade. Céline Laurens signe un premier roman très réussi, porté par des personnages truculents et attachants qui donnent une tonalité originale et vivante au texte sur lequel souffle un grand vent de liberté. En s’intéressant à cette communauté, elle nous invite à repenser notre rapport aux autres et à la tolérance.