Littérature française

Tobie Nathan

À la recherche de la vie

L'entretien par Maria Ferragu

Librairie Le Passeur de l'Isle (L'Isle-sur-la-Sorgue)

Roman historique et d’aventure, roman d’amour et d’amitié : vous croiserez dans ce texte de belles personnes, un homme en exil et en quête de justice, un fils cherchant à connaître son père, des femmes fatales, mais aussi d'anciens nazis absolument pas repentis et autant de personnages réels et fictionnels qui viennent rythmer ce roman foisonnant.

Comment présenteriez-vous votre roman et comment avez-vous organisé votre récit ?

Tobie Nathan - C’est un roman historique où vous trouvez des personnages connus… mais il faut leur donner chair, une vie intérieure et c’est tout le travail du romancier. J’aime dans mes romans les mêler à des personnages de fiction qui viennent habiter le monde en même temps et donnent vie à l’ensemble. C’est tout un travail de construction : d’abord on fait le cadre, on met les couleurs et ensuite on fait les détails. Les personnages donnent vie au tableau.

 

Vous abordez dans ce roman un sujet peu connu, la façon dont les nazis ont continué à œuvrer à l’étranger bien après la fin de la guerre.

T. N. - Les SS qui ont été impliqués dans la guerre, dans des crimes contre l’humanité ont tout fait pour échapper au jugement. Ils ont parfois changé de nom, se sont cachés en Allemagne, certains se sont enfuis, de nombreux sont allés en Amérique du Sud. Mais ce que l’on sait moins, c’est que beaucoup sont partis au Moyen-Orient. Ils y ont trouvé un accueil chaleureux. Un de mes personnages principaux, Dieter Boehm, est un nazi terrible, qui se retrouve en Égypte où il a fait une carrière « extraordinaire » jusqu’à son déclin.

 

Il y a un autre thème très fort dans ce roman, c’est celui de la mémoire, car votre héros, Zohar, n’a jamais pu oublier ce qu’il a subi et cela aura un impact durable sur sa vie et celle de son fils. Faut-il oublier pour se reconstruire, pardonner ou au contraire régler ses comptes ?

T. N. - C’est l’exemple d’un passé qui ne passe pas, dans les deux cas. D’un côté le nazi qui veut rester tel qu’il était malgré la destruction du nazisme : il veut croire que ce monde peut perdurer. Zohar, lui, sait que son monde est détruit, il est destiné à se métamorphoser. À 27 ans, il n’est pas un enfant, il doit se reconstruire dans un monde étranger. Beaucoup s’effondrent et puis certains savent faire autre chose, se « réinitialiser ». C’est là que l’on peut dire qu’un exil de cette nature est une nouvelle naissance. Une fois qu’il a fini ce processus de reconstruction, il va jeter un regard en arrière et constater que la deuxième vie qu’il a reconstruite après l’exil est finalement très semblable à la précédente.

 

Au début du roman, quand Zohar est encore en Égypte, certaines scènes sont teintées d’orientalisme.

T. N. - L’orientalisme s’appliquerait plutôt à un XIXe siècle qui se laissait berner par les apparences de l’Orient, qui en aimait la poésie. Ce n’est pas le cas ici. Il s’agit d’un Orient vécu de l’intérieur, dans les tripes, avec notamment des rituels aux esprits, à la terre. Les gens qui participaient à ces rituels étaient musulmans, mais pas seulement, il y avait aussi des juifs, des coptes, des chrétiens, car tous, appartiennent à la terre d’Égypte. Pour décrire de tels rituels, si vous avez une approche ethnographique, vous allez penser que c’est une croyance, or ce n’en est pas une, c’est bien la vie réelle, c’est le monde tel qu’il est. Il faut aller chercher des mots spéciaux pour les décrire. Pour que le lecteur se retrouve pris dans cette ambiance, qu’il soit non pas possédé, mais au moins enthousiaste (qui vient du grec entheos : avoir le dieu dedans, avoir l’esprit à l’intérieur).

 

Votre héros, Zohar, est un exilé qui a fui l’Égypte pour l’Europe. Comment pensez-vous que cela influe sur la psychologie du personnage ?

T. N. - En arrivant en France, Zohar n’a qu’une idée en tête, se venger. En effet, les nazis qui sont venus en Égypte après la guerre ont fait en sorte que la vie qui était relativement vivable entre les communautés devienne impossible et il les tient pour responsables. Zohar a rencontré des gens qui, comme lui, sont habités par des désirs de vengeance : des résistants torturés par la Gestapo, des survivants de la Shoah et tous se retrouvent, reconstruisent un monde. Au fur et à mesure, les choses s’apaisent jusqu’à penser qu’il va devenir une personne normale, jusqu’au moment où il apprend que Dieter Boehm vit toujours. Alors, il laisse tout et part.

 

Vous terminez le roman par une fin relativement ouverte, envisagez-vous une suite ?

T. N. - J’espère que Zohar me donnera la force d’écrire le tome suivant !

 

La Société des belles personnes vous entraînera de l'Égypte des années 1950 au Paris d'après-guerre, en passant par l'Italie, dans une fresque romanesque et poignante autour d'un personnage Zohar, ayant connu la violence de l'exil et le poids du souvenir, mais aussi la douceur de l'amitié et de l'amour. Autant d’événements qui viendront influer sur le cours de sa vie et les choix qu'il sera amené à faire. Ce roman aux accents lumineux et sombres est traversé par des personnages en quête d’eux-mêmes, d’une vérité qui pourrait les ramener à la vie, mais hantés par le poids d’une vie qu’ils peinent à oublier. Tobie Nathan excelle dans ces galeries de personnages, fictionnels et réels, où la filiation et les origines jouent un rôle prépondérant. Il nous livre ici une fresque historique flamboyante qui vient compléter Ce pays qui te ressemble (Stock et Le Livre de Poche) explorant ainsi le poids de la transmission et de l’héritage ancré en chacun de nous.