Littérature française

Sarah Jollien-Fardel

Vers la lumière

Entretien par Maria Ferragu

(Librairie Le Passeur de l'Isle, L'Isle-sur-la-Sorgue)

Sarah Jollien-Fardel revient, après Sa préférée, avec un deuxième roman exceptionnel, à la fois terriblement dur et résolument lumineux. Elle nous entraîne dans un texte court et puissant qui dit, en peu de mots, tous essentiels, la douleur de la perte et l’éventualité d’un retour à la vie.

Dès le prologue, vous nous dévoilez le drame qui a frappé Rose. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur elle ?

Sarah Jollien-Fardel Rose est une jeune femme qui vit dans la montagne, dans un paysage qui peut sembler féerique. Son personnage est né en même temps que celui de Camil qui est son ami d’enfance et qui plus tard deviendra son mari. Elle menait une vie heureuse, même si elle a connu des deuils, comme souvent dans la vie, elle avait su faire face grâce au soutien de ses proches.  Mais ce drame-là, est celui de trop.

 

Quand le roman commence, Rose est dans une pièce attachée à une longe et c’est sa voix intérieure qui raconte et revient sur les événements qui l’ont amenée là. Cette construction était-elle évidente dès le départ ?

S. J.-F. Oui ! L’histoire est née par ces deux personnages que j’avais imaginés, Rose et son mari. Je les avais d’abord envisagés à un autre moment de leur vie, beaucoup plus vieux. Mais finalement, l’idée de la longe est arrivée. Je tiens à ce mot de longe et pas de laisse car il renferme aussi l’idée de contrôle, d’éducation. Après, c’est un peu comme si les personnages décidaient comment le récit va se poursuivre et je les ai laissés faire. Je tiens à ce que le lecteur comprenne, en même temps que la narratrice, ce qui est en train de se jouer.

 

Rose est dans une grande douleur car sa fille est morte et elle n’a pas réussi à faire son deuil.

S. J.-F. Effectivement, on sait tout de suite ce qui s’est passé. C’est un peu comme dans la vie, finalement, on sait tous qu’on va mourir. Ce qui compte, c’est ce qui se passe entre le début et la fin. Rose a connu plusieurs malheurs sauf que, pour elle, cette douleur est trop forte et la maintient longtemps dans un monde sombre.

 

Dans la première partie du roman, on découvre les deux grand-mères. Pouvez-vous nous les présenter ?

S. J.-F. Elles sont très différentes. La grand-mère des villes, qui peut paraître plus éduquée, est en fait plus soumise et conventionnelle. La grand-mère des montagnes est une femme de tempérament, plus libre, qui a créé une sorte de café. Ces deux femmes vont l’aider au cours de sa vie, chacune à leur manière, simplement en existant, en parlant : elles vont lui transmettre ce qui va la construire.

 

La montagne est aussi un personnage à part entière du roman.

S. J.-F. Je pense que l’on n’est pas la même personne selon le lieu où l’on naît. Mes personnages sont façonnés par les lieux où ils ont grandi et habité. Cela crée les conditions de vie mais aussi le tempérament. C’est vrai que ces montagnes sont très importantes pour moi : je me rends compte que je n’en ai pas fini avec ce lieu parfois habité par les silences.

 

Rose est enfermée dans une pièce, attachée à cette longe. Un jour, une voix s’élève derrière la porte et commence à lui lire des textes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette voix ?

S. J.-F. Dès le départ, dans le prologue, on a quelques indices sur les goûts de Rose, et notamment la lecture. Mais elle était dans une telle souffrance qu’elle n’était plus en capacité de lire : elle était repliée sur elle-même, plus rien ne l’intéressait. Elle va entendre une voix féminine qui va lui lire des textes qui vont la toucher. Parce que je crois que la littérature peut nous consoler. Petit à petit, elle va comprendre qu’elle n’est pas la seule à souffrir : elle va découvrir la beauté des mots, des textes et elle va sortir de sa colère et de sa torpeur.

 

Peut-on dire un mot de ces textes ?

S. J.-F. Il y a notamment Duras, Rilke, Delbo… Des textes qui comptent pour moi et ne sont évidemment pas là par hasard. Au final, les auteurs sont aussi venus par le personnage de Rose. Le livre a été pour moi l’occasion de relire ces auteurs même si rien n’a été calculé.

 

Les thèmes de la violence et du corps sont importants. Celui de Rose qui est soumis à la contrainte. Ou celui de son frère qui est un corps abîmé.

S. J.-F. Pour moi, le corps est indissociable de l’esprit, de la vie. Il y a effectivement des thèmes essentiels pour moi et la violence en fait partie. La violence, la mort sont des thèmes qui m’habitent depuis toujours. Je ne m’en défais pas. Beaucoup de choses sont violentes et quand on commence à le remarquer, on les retrouve partout dans le monde qui nous entoure.

 

Rose est une femme heureuse et amoureuse. Malgré une enfance marquée par des drames, elle a su se construire une belle vie, mariée à son ami d’enfance. Mais quand sa fille Anna meurt renversée par une voiture, c’est tout son monde qui s’effondre et sa santé mentale qui vacille. Enfermée dans une maison à flanc de montagne, attachée à une longe, elle peine à retrouver le chemin des vivants. Jusqu’à ce qu’une voix s’élève de l’autre côté de la porte, lui faisant la lecture de textes inspirants et évocateurs, pour lui rappeler que les mots, parfois, peuvent avoir la force de la réparation. Ce roman est un texte d’une force impressionnante, porté par des personnages d’une grande humanité qui nous emmènent à leurs côtés vers la lumière.

Les dernières parutions du même genre