Littérature française

Jean Mattern

Le Bleu du lac

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Chronique de Marie Hirigoyen

Librairie Hirigoyen (Bayonne)

Le dernier voyage vers celui qu’elle aimait. Une superbe partition scandée comme une respiration inquiète, pour dire la course des heures, les abandons charnels, l’apprentissage de la perte, la ferveur des vies brutalement désaccordées.

Le matériau de prédilection que tisse avec subtilité Jean Mattern dans chacun de ses romans, c’est la texture même du temps. Celui qui sépare ou qui rassemble, celui qui habite notre mémoire, collective ou intime. « Englués dans notre souffrance, nous avançons lestés, comme figés dans le temps. » (De lait et de miel, Sabine Wespieser, 2010). Le temps de l’exil, de l’éloignement mais aussi celui de la transmission, de la rencontre révélatrice, celle qui fait bifurquer une existence sans prévenir. Sensations du passé et souvenirs enfouis surgissent ainsi dans la conscience de Viviane Craig, pianiste de renom, tout au long d’un trajet dans le métro londonien. Elle se rend aux funérailles de son amant, James Fletcher, le « monsieur classique » de la BBC, pour jouer, selon sa dernière volonté, le deuxième intermezzo de Brahms. Dans le chaos de son esprit embrumé par le chagrin se télescopent les événements : une vie de couple parfaite avec Sebastian, la mort accidentelle de leur fille un certain 11 septembre, l’arrivée du succès grâce à une coïncidence et surtout la déflagration du choc amoureux, l’installation d’une relation maintenue secrète pendant des années. Reviennent à la surface, dans le désordre, la fièvre des attentes, la montée du désir, l’urgence des caresses, « cette félicité inouïe et scandaleuse », les heures passées en confidences, la musique bien sûr, toujours la musique comme l’essence même de la vie. James emporte avec lui sa part d’ombre et « cette découverte de la félicité à s’immerger dans une eau claire au milieu d’un lac dans les Alpes ». Jean Mattern déploie ici tout son art de compositeur pour nous rendre sensibles les brèches du temps qui s’ouvrent sur l’infini des sensations, la compression des minutes d’angoisse et la dilatation des longues années passées.

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