Bande dessinée

Appollo

T'zée

illustration

Chronique de Claire Rémy

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À travers le délitement de la dictature d’un pays fictif d’Afrique équatoriale, Appollo et Brüno dressent un portrait noir de la politique africaine, entre recherche d’une place sur l’échiquier mondial et croyances encore influentes. Une tragédie en cinq actes digne des plus grands classiques helléniques.

Dans le palais de T’Zée, le silence et l’inquiétude planent. Depuis la prise du pouvoir par les rebelles et l’incarcération du despote, nul ne sait si T’zée reviendra. Dans sa résidence sécurisée de Gbado, parmi les retranchés, deux membres de premier plan de son entourage se font face : son fils Hippolyte et l’épouse du T’zée, Bobbi. Hippolyte a subi la haine de Bobbi depuis que la jeune femme a intégré la famille et s'est vu contraint à l’exil pendant des années. C’est l’espoir de sauver son pays et son père qui l’a fait revenir. Mais rapidement la nouvelle tombe : T’zée serait mort au cours de violents affrontements sur les lieux de son incarcération entre les rebelles et les soutiens au régime. Dès lors, que faire ? Quitter le pays pour sauver sa peau ou affronter l’embrasement et la chute des privilèges dont tous ont jusqu’alors bénéficiés ? S’enfuir ou rester fidèle au vieux dictateur ? Tout va basculer en une nuit. Fort de son enracinement en Afrique depuis plusieurs années (il a vécu en Angola puis au Congo), Appollo nous plonge au cœur des politiques africaines et ce qu’elles peuvent avoir de plus complexes. Soucieux de s’affranchir de leur violent et douloureux passé colonial, les régimes africains connaissent souvent de fortes instabilités politiques, entre putschs autoritaires et tentatives de libération des peuples par des forces rebelles armées. À la fois rejetée et fantasmée, la culture occidentale est omniprésente dans les plus hautes sphères tandis que les croyances mystiques sont encore profondément ancrées parmi les peuples. C’est l’alliance de ces deux facettes qui donne sa belle complexité à cette fiction qui met en lumière la chute d'un régime tel que celui du congolais Mobutu, sur laquelle l’Occident a à peine jeté un regard, méprisant encore une fois ces pays dits « amis ». La trame de la tragédie fonctionne parfaitement, emportant le lecteur dans une tension croissante. Des citations d’auteurs africains francophones ouvrent les différents actes, donnant tout son sens au sous-titre de cette BD : Une tragédie africaine. Le travail de Brüno au dessin fonctionne encore parfaitement tant l'illustrateur maîtrise à merveille les aplats de noirs et de couleurs. Que ce soit des scènes de combats, la suggestion de non-dits lourds de sens ou la représentation des fétiches et mysticismes africains, Brüno sait vraisemblablement tout faire ! Il aura fallu plus d’une décennie aux auteurs pour construire cette histoire : le résultat en valait vraiment la peine !