Bande dessinée

À nos corps défendant

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✒ Claire Rémy

De notre naissance à notre mort, il est notre plus fidèle allié, celui qu’on ne peut fuir : notre corps. Son apprivoisement peut prendre des années, voire rester un idéal inaccessible tant il change et nous déroute au cours d’une vie mais l’écouter est le plus important pour s’accepter. Deux BD viennent témoigner de sa complexité.

Dans Tout va bien (Delcourt), on fait la connaissance d’Ellie, une jeune fille de 20 ans qui n’a encore jamais connu l’amour et se demande ce qui cloche chez elle pour ne pas avoir envie de se lancer. Elle décide alors de dire oui à la prochaine personne qui lui demandera de sortir avec elle : ce sera Archimède, un camarade de classe. En plus des premiers émois qui bouleversent forcément Ellie par leur nouveauté, elle se rend vite compte que même en étant bien avec Archimède, patient, à l’écoute et doux, elle n’arrive pas à se laisser aller et traîne désespérément un mal-être angoissant. Elle ne sait pas quoi faire de ce corps qu’il ne peut approcher sans lui provoquer de violentes crises de panique alors même qu’avec ses amis, elle est étonnamment tactile. Ça tourne à 100 à l’heure dans la tête d’Ellie, que ce soit à propos de ses émotions ou de ses attitudes mais aussi d’une place au sein de sa famille qu’elle a bien du mal à trouver. Parents divorcés et fâchés, grand frère en grave repli sur lui-même et cadette trisomique sont autant de facteurs qui n’aident pas Ellie à se construire. Ce n’est finalement qu’en acceptant de se regarder en face, de prendre des décisions pour elle et de s’écouter qu’elle s’assumera et débloquera son corps en même temps qu’elle se l’approprie. Dans Il fallait que je vous le dise, Aude Mermilliod nous propose pudiquement le récit de l’IVG qu’elle a vécu. Cette mise à nu répond à la fois à un besoin de faire son deuil de cet événement mais également de s’adresser à tout le monde, avortées, mères, femmes sans enfant et hommes aussi, ceux qui sont aux côtés des femmes comme ceux qui partent. Pour que le plus grand nombre comprenne les enjeux de ce choix et soit mieux armé face à lui. C’est pourquoi elle a souhaité soumettre son récit à Martin Winckler (de son vrai nom Marc Zaffran, auteur du fabuleux Chœur des femmes chez Folio) mais aussi médecin et militant contre les violences obstétricales. Le récit est alors ponctué de leurs échanges, le témoignage bouleversant d’Aude et celui, bienveillant et humble, des années de jeunesse de Marc, au cours desquelles il rencontra les personnes qui l’ont aidé à ouvrir les yeux et prendre du recul pour se mettre à la place des femmes afin de mieux les écouter et les défendre. La réappropriation de son corps par Aude passa par un combat violent contre elle-même et tous ceux qui auraient voulu parler pour elle. Cette BD d’une beauté fulgurante redonne au corps des femmes sa juste place, à toutes les échelles.