Littérature étrangère

Tupelo Hassman

La Fille

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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Dans son premier roman, Tupelo Hassman nous entraîne au cœur d’un trailer park, ces lotissements de mobile-homes où vivent les Américains les plus démunis, aux côtés d’une jeune héroïne qui a tout d’une battante.

« La fille », c’est le surnom donné par sa mère à Rory Dawn Hendrix, une gamine qui grandit durant les années 1980 à La Calle, un trailer park de la banlieue de Reno, dans le Nevada. Car la féminité est déterminante dans le milieu de notre jeune narratrice, née d’une lignée de mères-enfants rapidement abandonnées par les hommes qui les ont mises enceintes. Jo, serveuse dans un bar du coin et collectionneuse d’hommes peu recommandables, voudrait un autre avenir pour cette « fille » qu’elle a eu après quatre garçons, à présent adultes, qui l’ont quittée eux aussi dès qu’ils ont été en âge de le faire. Mais elle ne sait pas comment s’y prendre. Rory Dawn se retrouve donc à déambuler dans La Calle, un vieil exemplaire du Manuel de la parfaite scoute sous le bras. Elle puise dans ce livre les règles de vie en société dont elle sent qu’elle a besoin, mais que Jo semble oublier de lui inculquer. Non seulement Rory Dawn raconte son histoire, mais elle nous donne également à lire quelques extraits du dossier de l’assistante sociale en charge de sa famille. Un sublime contraste naît alors entre ce résumé froid du quotidien de la jeune fille, qui ne laisse entrevoir aucun espoir d’une vie meilleure, et le détail de ses aventures semées d’embûches nées sous sa propre plume. Quand l’un relate les divorces successifs, la pauvreté et le désœuvrement, l’autre raconte le plaisir à s’appliquer à l’école, le monstre qui se cache derrière son voisin le Quincaillier, ou encore le premier baiser. Rory Dawn dévoile fièrement les jolies lettres que lui a envoyées sa grand-mère et suggère – plutôt qu’elle ne le dit – son amour pour celle-ci et sa mère, mais aussi ses angoisses et ses incertitudes. Un superbe roman d’apprentissage servi par une narration virtuose.

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