Littérature française

Michèle Audin

Vive la Commune !

CB

Entretien par Charlène Busalli

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Michèle Audin signe un roman plein de joie de vivre, de bonne humeur et d’émotion, une merveilleuse balade dans les pas des insurgés de la Commune de Paris. Un bel hommage à celles et ceux dont l’Histoire n’a pas toujours retenu le nom, mais qui reprennent vie sous la plume lumineuse de l’écrivaine.

Première sélection du Prix du Style 2017

 

PAGE — Parlons d’abord du titre de votre roman, qui est magnifique. Pouvez-vous nous en expliquer l’origine ?

Michèle Audin — C’est une citation de Jules Vallès qui, le jour où on a élu les représentants de la Commune le 26 mars 1871, a écrit un article pour parler de cette fête des élections en disant : « C’est la Révolution qui passe, tranquille et belle comme une rivière bleue. » Au début de la Commune, c’est comme ça qu’on voyait cette révolution. J’ai trouvé l’image très belle, d’autant plus que, lorsqu’on regarde les tableaux que les peintres peignent à cette époque, on voit que la Seine est bleue. J’ai voulu utiliser ce titre pour montrer que ce qui m’intéressait dans l’histoire de cette Commune de 1871, ce n’était pas la manière dont elle s’est terminée, en massacre comme chacun sait, mais la Révolution elle-même, « tranquille et belle comme une rivière bleue ».

 

P. — Votre narrateur dit : « La Commune. Pourquoi en parler ? Événement du dix-neuvième siècle, mythe du vingtième, ai-je lu quelque part. Et quoi du vingt-et-unième ? » Alors : la Commune, pourquoi en parler ?

M. A. — C’est une vraie question. La Commune est un événement historique très intéressant et plein d’enseignements pour nous, car c’est un événement assez important pour qu’on en parle encore aujourd’hui, mais dont les participants sont pour la plupart totalement inconnus. À part Vallès justement, peu de gens sont en mesure de citer le nom d’un élu de la Commune de Paris. C’est une Révolution faite par des inconnus, ce que je trouve très intéressant comparé à la vie politique telle qu’on la vit à l’heure actuelle.

 

P. — En effet, vous racontez la Commune à travers quelques-uns de ses protagonistes connus, et d’autres beaucoup moins connus, voire pas du tout. On suit par exemple les journalistes Lissagaray (ou Lissa, comme ses amis l’appelaient) et Charles Longuet, ou encore du côté des femmes, l’institutrice Maria Verdure ou l’ouvrière Marthe. Comment en êtes-vous venue à choisir ces personnages en particulier ?

M. A. — Il existe ce très beau livre de Lissagaray intitulé Histoire de la Commune de 1871 (La Découverte), qui est mon livre de chevet sur le sujet. Il fallait donc que Lissagaray soit dans le roman. Son livre est très beau mais, comme tous les autres livres qui parlent de la Commune, c’est une histoire d’hommes. De temps en temps, on vous fait un chapitre sur les femmes de la Commune et on vous parle de ces pures héroïnes, de Louise Michel la Vierge rouge, etc. Mais j’ai du mal à croire qu’on ait fait la révolution pendant deux mois, trois mois, et que toutes ces femmes n’aient été que de pures héroïnes, ou qu’elles n’aient rien fait d’autre que faire à manger à leurs maris qui étaient sur les remparts en train de défendre Paris. Donc j’ai voulu avoir des personnages féminins. Marthe, je l’ai trouvée au détour d’une page de Lissagaray, je l’ai cueillie et j’en ai fait un personnage central de mon livre, alors qu’elle n’était pas grand-chose chez Lissagaray.

 

P. — Votre roman est très joyeux. On voit vos personnages faire la fête, faire l’amour, aller à la foire au pain d’épices ou au concert… Ce n’est pas une manière banale de raconter l’Histoire. Qu’est-ce qui a nourri cette envie de raconter la Commune de cette manière ?

M. A. — Dans les livres d’Histoire, on vous explique que oui, il y avait des concerts, des théâtres qui fonctionnaient, on vous dit qui jouait quoi… et je trouvais que c’était important dans un roman de montrer la vie quotidienne. C’est aussi ce qu’on lit dans les quotidiens de la Commune, car ce sont eux que j’ai utilisés comme sources principales. En particulier le Journal Officiel qui, malgré son titre, est un journal rempli de choses intéressantes, mais que les gens ne lisent pas dans sa version intégrale. C’est un ami qui m’a dit que ce que tout le monde croyait être le vrai Journal Officiel de la Commune ne l’était pas, que c’était quelque chose qui avait été reproduit après mais qui n’était pas le Journal en entier. Le vrai Journal in extenso avait une édition du soir qui était très drôle, remplie des plus mauvais jeux de mots que vous pouvez imaginer. C’est cette édition-là, très joyeuse, que j’ai trouvé intéressant d’utiliser.

 

P. — Vous auriez pu vous contenter d’une narration à la troisième personne ou, pourquoi pas, vous mettre vous-même en scène, mais vous avez choisi un narrateur qui arpente Paris au gré de ses recherches sur la Commune. Pourquoi ?

M. A. — Je ne pense pas que l’on puisse écrire un roman historique indépendamment du moment où on l’écrit. Ce dont on parle, malgré tout, c’est ici et maintenant. Je voulais donc ancrer la narration dans notre époque. Mais je ne voulais pas non plus que ce soit moi, je voulais un vrai personnage-narrateur. Et ce narrateur est lui aussi un personnage historique, sauf que son histoire se déroule maintenant.

 

P. — Hormis vos personnages principaux, vous citez beaucoup de noms, notamment quand le massacre commence. Votre dernier chapitre, très émouvant, s’intitule « Personne ne se souvient ». Est-ce que la mémoire de la Commune est une problématique qui a beaucoup compté pour vous dans l’écriture de ce roman ?

M. A. — Des milliers de gens font un rêve pendant quelques semaines, puis beaucoup se font tuer ou disparaissent. On dit 20 ou 30 000 disparus, on discute les chiffres, mais on ne pense pas aux gens en tant qu’individus. À cet homme qui faisait tel métier, qui aimait beaucoup le café. À quoi ressemblait sa vie de tous les jours ? J’ai essayé d’imaginer la vie quotidienne de pas mal de ces personnages qui ont disparu de notre mémoire. J’ai essayé de les faire revivre avec leurs goûts, leurs plaisirs, leurs joies.

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