Littérature étrangère

Anne B. Ragde

Le retour à la terre

CB

Entretien par Charlène Busalli

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Huit ans après la parution de la trilogie qui en a fait la romancière la plus populaire de son pays, Anne B. Ragde nous offre une nouvelle aventure de la famille Neshov, aussi divertissante et émouvante que les précédentes. Un livre qui tombe à point nommé pour constituer une superbe lecture de vacances !

Tormod Neshov est en maison de retraite depuis bientôt quatre ans. Il a quitté la ferme sans remords, au regard de la vie malheureuse qu’il y a menée. Margido passe le voir régulièrement dans ses moments de temps libre, ayant par ailleurs fort à faire avec son entreprise de pompes funèbres. Torunn partie, la ferme familiale a été mise en vente mais n’a toujours pas trouvé acquéreur. À Copenhague, débordés par leurs trois bambins, Erlend et Krumme ont dû renoncer à transformer une partie des lieux en maison de vacances, d’autant plus qu’il aurait été nécessaire que quelqu’un continue l’exploitation agricole pour pouvoir garder les terres. Mais Torunn avait préféré partir, allant retrouver le beau Christer et ses chiens de traîneau. Pourtant, Torunn n’est pas plus heureuse que son oncle Margido, et quand le trop-plein se fait sentir, c’est ce dernier et son grand-père Tormod qu’elle décide d’aller retrouver à Trondheim. Un nouveau départ pour la ferme des Neshov ? Ce sera à Torunn, l’héritière, d’en décider.

Avec ses maisons colorées, son fjord, son canal, son fleuve et sa splendide cathédrale, la ville de Trondheim où vit Anne B. Ragde a des airs de carte postale norvégienne. Occupant une position centrale dans le pays, c’est une ville paisible de 180 000 habitants où flânent les nombreux étudiants de l’université de sciences et de technologie. En s’aventurant hors de la ville, il suffit d’un petit quart d’heure en voiture pour atteindre un paysage de forêts et de champs à perte de vue, où s’attardent encore quelques traces de neige malgré le grand ciel bleu du mois de mai. C’est dans ce splendide panorama ponctué de fermes peintes en rouge qu’Anne B. Ragde a choisi de situer sa saga des Neshov, un endroit qu’elle fait volontiers découvrir aux visiteurs de passage, avec un enthousiasme, une bonne humeur et une verve qui ne sont pas sans rappeler le ton de ses livres. Rencontre avec une romancière généreuse qui nous a accueillis à bras ouverts à l’occasion de la sortie française de son nouveau roman.

Huit ans après la parution de la trilogie qui en a fait la romancière la plus populaire de son pays, Anne B. Ragde nous offre une nouvelle aventure de la famille Neshov, aussi divertissante et émouvante que les précédentes. Un livre qui tombe à point nommé pour constituer une superbe lecture de vacances !

PAGE — Après avoir terminé le troisième tome de la saga des Neshov, auriez-vous imaginé un seul instant que vous en écririez un quatrième huit ans plus tard ?
Anne B. Ragde — Pas du tout ! J’étais absolument convaincue que le troisième tome serait le dernier. J’ai d’ailleurs écrit d’autres romans sans les Neshov par la suite. Mais au mois de janvier de l’année dernière, la même semaine, deux personnes différentes que je ne connaissais pas m’ont demandé : « Quand est-ce que vous allez écrire la suite ? ». Ce à quoi j’ai répondu : « Quoi ? Vous attendez encore la suite ? ». Et eux de renchérir : « Bien sûr ! ». Alors je suis rentrée chez moi, j’ai relu la trilogie et j’ai compris deux choses. La première, c’était pourquoi ils me demandaient d’écrire un quatrième tome, puisque j’ai constaté que c’était en effet réalisable. Mais j’ai aussi compris pourquoi le troisième tome avait été pour moi le dernier. La ferme n’était plus, on en avait coupé l’eau et l’électricité, on en avait fermé la porte alors qu’elle avait été l’élément central de la trilogie. C’en était fini de la ferme. Pourtant, j’ai fini par me dire pourquoi pas. J’ai donc recommencé à écrire sur les Neshov, et ceux-ci me sont immédiatement revenus. Je n’ai dit à personne que j’écrivais à nouveau sur eux. Ni à mon éditeur, ni à mon fils et à ma belle-fille, dont je suis pourtant très proche. Je leur ai dit que j’écrivais, mais sans leur donner plus de précisions avant d’avoir terminé. J’ai gardé ce secret pendant huit mois et mon fils a commencé à se poser des questions. Un jour, il m’a dit : « Maman, en général, quand tu écris, tu es très introvertie et d’humeur très sombre, mais cette fois tu as l’air si heureuse et détendue : ça cache quelque chose ! ». Et c’est vrai que j’étais particulièrement heureuse de retrouver les Neshov : j’avais l’impression de rentrer à la maison en quelque sorte. D’autant plus que j’ai su très rapidement qu’il y aurait également un cinquième tome. Je viens d’ailleurs de terminer ce livre il y a deux jours seulement. Il sortira en France l’année prochaine. Et cette fois – même si j’ai appris qu’il ne faut jamais dire jamais ! –, j’ai le sentiment que ce sera bel et bien le dernier.

P. — Dans la plupart de vos livres, il est question de la famille. Qu’est-ce qui vous fascine dans la famille au point que vous en ayez fait le sujet de prédilection de vos romans ?
A. B. R. — J’aime écrire sur la famille car il n’y en a pas deux qui se ressemblent. Faire partie d’une famille est quelque chose de très compliqué. Chacun se retrouve à jouer plusieurs rôles. On ne se comporte pas de la même manière avec sa sœur, sa mère, son père, son frère, son enfant ou sa grand-mère. Et on doit constamment passer d’un rôle à l’autre. Lors d’un dîner de famille par exemple, on doit jouer tous ces rôles à la fois. Les Neshov sont une famille dysfonctionnelle, une famille qui a éclaté à cause de ses secrets. Dans chaque livre, je montre comment tout cela évolue. Ce nouveau roman montre comment Torunn et Margido tentent de se rapprocher, comment ils apprennent à se connaître. Margido est l’oncle de Torunn. Ils ont pourtant passé beaucoup d’années sans rien savoir l’un de l’autre. C’était assez captivant d’écrire sur ce genre de relation complexe.

P. — Ce qui est intéressant à propos de Torunn, c’est de voir à quel point elle se sent prisonnière de ce que les autres attendent d’elle. Est-ce pour vous un des principaux inconvénients de la famille, cette tendance à dresser des barrières autour des aspirations des uns et des autres ?
A. B. R. — Absolument. C’est quelque chose qui revient très souvent dans les familles. En particulier dans la relation mère-fille. Torunn en fait elle-même l’expérience avec sa mère. Comme si elle n’était pas une personne à part entière, mais seulement la fille de quelqu’un. Sa mère veut qu’elle joue son rôle de fille et rien d’autre, alors qu’elle a quarante ans et qu’elle a emménagé loin de sa mère. Mais on ne peut pas jouer constamment un rôle, on doit pouvoir être soi-même. Et Torunn déteste qu’on lui force la main, comme lorsque son oncle Erlend avait voulu lui imposer la transformation d’une partie de la ferme familiale en maison de vacances. C’est d’ailleurs une des choses qui avaient motivé son départ de la ferme.

P. — À propos de la ferme, vous décrivez la vie sur une exploitation agricole avec beaucoup de détails dans cette saga familiale. Est-ce que vous avez vous-même grandi à la ferme ?
A. B. R. — Je viens d’une famille d’agriculteurs du côté de mon père. La ferme porte mon nom de famille, Ragde. Le plus vieux bâtiment date de 1540. Elle appartient à notre famille depuis tout ce temps-là et mon père y vit toujours. Par contre, il n’y a plus d’animaux car elle est devenue trop petite pour ce genre d’activité. Mais ce n’est pas le modèle que j’ai utilisé pour la ferme des Neshov. En fait, cette dernière ne m’a pas été inspirée par une ferme en particulier, c’est plutôt un mélange de plusieurs fermes des alentours de Trondheim.

P. — Pouvez-vous nous parler de cette ville où vous vivez et de ses environs, qui constituent le décor de la saga des Neshov ?
A. B. R. — Trondheim est la ville la plus ancienne de Norvège : elle a 1100 ans. L’histoire norvégienne s’est faite ici, à Trondheim. Elle était la capitale historique alors qu’Oslo n’était encore qu’un village. Nous sommes ici très proches de la campagne et des terres agricoles. J’adore prendre ma voiture pour m’y rendre dès que l’envie m’en prend : c’est très stimulant et divertissant. J’aime beaucoup les animaux. J’aurais voulu être vétérinaire mais je n’étais pas assez forte en maths ! J’ai été assistante vétérinaire pendant quelque temps. J’accompagnais un vétérinaire de ferme en ferme, donc nous nous occupions surtout de bétail. Les circonstances pouvaient se révéler dramatiques car les agriculteurs n’ont pas beaucoup d’argent et n’appellent le vétérinaire que lorsqu’ils n’ont plus le choix, et bien souvent il est déjà trop tard.

P. — Un autre des aspects marquants de ce nouveau livre concerne Margido et son entreprise de pompes funèbres sur laquelle vous vous attardez longuement. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce métier particulier ?
A. B. R. — Je suis fascinée par ce métier très discret dont on ne sait pas grand-chose si on ne travaille pas soi-même dans le domaine. C’est une activité qui prend sa source dans la mort. L’accent est mis sur le fait de faire les choses correctement. Un enterrement est un événement très important : c’est une sorte de point final qu’il faut préparer comme il se doit. Je lis souvent des poèmes lors d’enterrements : des connaissances me le demandent régulièrement quand ils perdent un proche et ne se sentent pas capables de le faire. C’est donc une atmosphère particulière que j’ai appris à connaître. Les gens sont tristes avant la cérémonie, mais la beauté de l’instant leur apporte un grand soulagement. C’est un rituel d’une importance capitale et il est fascinant d’écrire sur ces gens qui travaillent jour après jour pour apporter de la beauté à ce dernier rituel.

 

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