Littérature française

Muriel Barbery

Thomas Helder

✒ Nicolas Mouton

(Librairie Le Presse papier, Argenteuil)

Dialoguant secrètement avec Joyce, Dante ou Shakespeare, le nouveau roman de Muriel Barbery sonde la présence de nos revenants. Cette déroutante et grisante introspection nous remet sur le droit chemin.

Toute œuvre littéraire forte est une réflexion sur l’art d’écrire. L’intrigue n’est là que pour nous guider sur ce chemin. Le nouveau roman de Muriel Barbery, s’il diffère beaucoup sur la forme d’Une rose simple (2020) et Une heure de ferveur (2022), n’en poursuit pas moins la même quête. Le texte s’ouvre sur l’enterrement de Thomas Helder, écrivain célèbre d’Amsterdam, revenu mourir sur ses terres d’enfance, dans l’Aubrac. Une maison, près d’une grange isolée dans la montagne, accueille famille et amis pour une dernière « cérémonie ». Au centre de celle-ci, Margaux, architecte qui « ne devrait pas être là », tisse une toile de conversations révélant peu à peu la manière dont chacun hante la vie des autres. Il faut lire lentement ces superbes pages où l’on traverse « des forêts de symboles » (Baudelaire) et où tout n’est qu’un long duel avec soi-même. Sentiment de la trahison, amicale ou politique (le souhaitable et le possible), éthique, réflexions sur la stratégie, la vérité de l’art, l’esprit de la nature et la présence des défunts. Quand sommes-nous avec nos morts ? Les brefs chapitres, où s’enlacent présent et passé, familiers et oniriques, dispensent, à travers le personnage de Jorg (frère de Thomas), des aphorismes tels que : « Ce qui importe, c’est l’instant où le geste devient beauté » ou « Nous apprenons du royaume des morts parce qu’il est notre avenir ». Peut-être tout n’est-il que cérémonie mentale (cimetière, réception, bain de Jorg…) ; cérémonie dans laquelle le vin joue un grand rôle : sang de la terre, in vino veritas et sans doute ultime repas pris ensemble, Cène. « La vraie beauté est une cérémonie (…). Une cérémonie de l’esprit qui désire voir le corps dénudé de la vie. » De sa prose si pure, Muriel Barbery touche grâce, vérité et transparence.

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