Littérature française

Régis Jauffret

Le Dernier Bain de Gustave Flaubert

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Chronique de Nicolas Mouton

Librairie Le Presse papier (Argenteuil)

L’œuvre protéiforme de Régis Jauffret, des grands espaces de Clémence Picot à l’infiniment diffus des Microfictions, en passant par l’exploration intime de Papa, se réinvente aujourd’hui sous les traits de Flaubert. Un roman à gueuler de plaisir. Mais lequel est la voix de l’autre ?

Nous entrons dans la maison de Croiset, dans la baignoire, la tête et la parole d’un gros homme frigorifié de solitude, maniaque du style et goinfre d’un savoir dont l’ultime roman raille les impasses. Gustave Flaubert, en ce 8 mai 1880, vit son dernier matin. Tout au long de la première partie de son livre (intitulée « Je »), Régis Jauffret va lui faire raconter sa vie, mais en jouant sur ce que nous savons déjà, et sans tomber dans le piège de l’imitation. Il chatouille notre plaisir de reconnaissance, fait de nous l’enfant qui réclame l’histoire qu’il connaît par cœur. Il feint de parler pour Flaubert, mais en réalité se moque bien de la vraisemblance et de la mode des biopics : « Un défunt ne prend pas la peine de se manifester pour reproduire Wikipédia ». Jauffret ne parle pas de Flaubert, mais depuis Flaubert. Vif, sensuel, truculent, de mauvaise foi, c’est le grand vivant, l’anti-Bartleby : « Toujours mieux vaut exister que ne pas ». Dans la deuxième partie (« Il »), plus brève, sa créature, Madame Bovary, viendra le tourmenter et lui formuler ses reproches. Le vrai sujet du livre est ailleurs : Croiset est la maison achetée par le père, où Flaubert écrit ; la baignoire, où la vieille servante Julie lave Gustave et lui raconte des histoires, est la mère. Croiset est le gueuloir de l’écrivain qui « gueule » pour se faire entendre de son père sourd (Papa). En littérature, la mère raconte, le père écoute et l’enfant écrit. Son atelier est donné dans le « chutier » (3e partie) : brouillons, rebus, restes de corps appelés à se perdre entrent dans l’œuvre, en minuscules caractères, comme murmurés, et sont ainsi sauvés, formant à leur tour intrigue. Régis Jauffret mène ici une fine réflexion sur le roman et la mort.