Polar

Antoine Albertini

Malamorte

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photo libraire

Chronique de Renaud Layet

Librairie Série B (Toulouse)

Un flic désillusionné, solitaire et alcoolique face à une corruption omniprésente entraînant des meurtres sordides. On pourrait croire que c’est du déjà lu, mais ce serait une grave erreur. Car Malamorte se déroule en Corse et le contexte bien particulier de l’île change tout.

Victime des rivalités entre les différents services de l’île et du continent, notre héros s’est retrouvé seul occupant d’un placard joliment appelé le Bureau des Homicides Simples. Ceux dont les victimes n’intéressent personne, surtout pas ses chefs obnubilés par les nationalistes et le terrorisme, seules préoccupations de ceux d’en haut. Des meurtres impulsifs, gratuits, stupides. Commis par des riens du tout. « C’est ça, que ma hiérarchie appelle les Homicides Simples et c’est là tout le problème. Rien n’est jamais simple. » Et effectivement, les quelques meurtres de routine auxquels il va être confronté cette fois-ci vont se révéler de simples fils d’une tapisserie bien plus complexe où s’entremêlent, comme toujours, la politique, les affaires et le grand banditisme. Des liens qu’Albertini, correspondant du Monde en Corse depuis des années, incarne à travers une galerie de personnages secondaires bien campés, tous prisonniers à divers degrés d’un système qu’ils ont tellement intégré qu’ils n’imaginent même plus qu’une autre façon de vivre est possible. Un système dont cette enquête va lui permettre d’exposer les rouages de manière passionnante, aussi bien pour ceux qui connaissent déjà la Corse que pour les profanes. Bien que les lieux et les époques soient très différents, on ne peut pas s’empêcher de penser au cycle L’Usine de Robin Cook, autres polars où un flic anonyme s’occupait seul des meurtres dont les victimes n’intéressaient que lui – cycle dont fait partie le cultissime J’étais Dora Suarez (Rivages). Les fans de roman noir mesureront l’immensité du compliment que constitue cette comparaison ! Mais si l’inspecteur de Cook avait tendance à s’effacer au profit de l’histoire des victimes, le flic cabossé que l’on suit dans Malamorte est lui beaucoup plus mis en avant : au fil de son enquête et de ses états d’âme, nous reconstituerons peu à peu son parcours, ses échecs, ses regrets. Ses idéaux aussi. Car la réalité de son métier a beau l’avoir endurci après l’avoir presque brisé, sous l’épaisse couche d’indifférence qu’il essaie d’entretenir par l’alcool, vivote toujours un restant d’empathie et notre enquêteur se révélera bien plus mélancolique que cynique. Ajoutée à la maîtrise parfaite de l’intrigue et de son contexte, c’est la richesse de ce personnage qui achève de faire basculer Malamorte dans le camp des très grands.