Littérature française

Gérard de Cortanze

Zazous

illustration
photo libraire

Chronique de Margaux Henin

()

Les voyez-vous, nos zazous du Café Eva ? Écoutez-les refaire le monde. Attablés en bande, une bière grenadine à la main, un air de jazz dans l’oreille, ils sont bien décidés à célébrer la vie en refusant les restrictions de la guerre, parce qu’après tout, « avoir 16 ans en 1940, quelle aubaine » !

C’est au café Eva, dans le quatorzième arrondissement de Paris, sous le regard bienveillant de Jo, un ancien de 14, que nos neuf acolytes ont posé leurs parapluies. Nous sommes en 1940. Le 14 juin à 5h35, les Allemands sont entrés dans Paris, prenant le contrôle de la capitale et des Français. Cette fois, Pétain ne sauvera personne. Ce 13 juillet 1940 a un goût particulier pour notre bande d’amis, leur Paris chéri ne brille plus, il semble, au contraire, pris dans une pernicieuse torpeur. Pourtant cet après-midi-là, aucun d’entre eux n’arborera une mine triste. Après un mois sans se voir, Charlie, le musicien noir, Josette, Jean et Pierre, les lycéens de la bande, Lucienne reine de la mode et mannequin à ses heures, Odette qui travaille dans une boulangerie, Sarah, la shampouineuse de confession juive, et Marie, la chanteuse prête à tout pour réussir, sont tous terriblement heureux de se retrouver. Malgré l’absence d’Henri, prisonnier des Allemands, notre joyeuse troupe est bien décidée à profiter de sa jeunesse. Au diable l’Occupant et ses stupides restrictions, adieu la guerre, bonjour la vie ! Fous passionnés de jazz, ils écument les lieux à la mode, comme le Pam-Pam sur les Champs-Élysées, et sont à l’affût de la moindre actualité musicale. « Le swing symbolise la liberté » ! Parfaitement reconnaissables grâce à leurs uniformes de guerre – « pantalons courts et étroits, longue canadienne, cheveux longs et chaussures à semelles épaisses pour les garçons », « jupe courte, chaussures à talon, maquillage bien voyant, pull près du corps mettant les seins en valeur » pour les filles, sans oublier les légendaires parapluies et lunettes de soleil à porter quel que soit le temps –, leurs tenues vestimentaires signent leur volonté d’entrer en résistance. D’autres actions ne tarderont pas à apparaître : envahir Paris d’un « V » victorieux, huer les informations allemandes lors des projections cinématographiques, déposer une gerbe de fleurs pour célébrer le 11 novembre, porter fièrement les couleurs nationales, afficher une étoile jaune en compassion pour les Juifs… Si nos zazous ne sont pas à proprement parler des Résistants, ils contribuent à « effrayer » le gouvernement de Vichy et les nazis, à tel point qu’ils seront traqués et sévèrement punis. À travers leur refus de subir les affres de l’Occupant, nos adolescents s’inscrivent dans un mouvement qui deviendra celui d’une génération, la génération des zazous. Ces cinq années de guerre seront vécues très différemment par nos amis, car si chacun veut conserver sa désinvolture, ils devront néanmoins faire face à leurs responsabilités. Les pas de swing pourront-ils rivaliser avec le bruit des bottes allemandes ? Gérard de Cortanze signe avec Zazous un formidable roman, dont l’écho est étrangement contemporain. En célébrant l’engagement d’une jeunesse qui refuse de céder à la peur, l’auteur montre que la vie triomphe toujours. Un texte vibrant et palpitant sur fond de Johnny Hess et Django Reinhardt. ◼