Essais

Hélène Frappat

Le Gaslighting

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Chronique de Lyonel Sasso

Librairie Dialogues (Morlaix)

Hélène Frappat met la focale, dans cet essai brillant, sur un concept peu connu du large public, le gaslighting. Elle analyse comment la puissance manipulatrice du patriarcat fait taire les femmes. Hélène Frappat met la focale, dans cet essai brillant, sur un concept peu connu du large public, le gaslighting. Elle analyse comment la puissance manipulatrice du patriarcat fait taire les femmes.

Tard dans son livre, Hélène Frappat raconte sa rencontre avec Gaslight, le film de George Cukor. Ces quelques lignes, intimes et politiques, sont la matrice de cet essai. Elle y questionne ses premières impressions. C’est une preuve de courage intellectuel que de vouloir penser, dire et écrire la vérité. La vérité envers soi, celle d’un mot ou d’une situation. S’y tenir fermement et ne pas céder. Faire entendre sa voix. Voilà l’un des enjeux de ce livre. Qu’est-ce que le gaslighting ? C’est une relation conjugale basée sur la manipulation d’une femme par son époux. Le film de George Cukor sert de fil conducteur pour raconter ce mot-clé. L’objectif de ce procédé est de manipuler le réel, de faire disparaître une parole, une voix celle d’une femme au profit d’un dessein souvent sadique. Hélène Frappat s’arrête ainsi sur la filmographie d’Alfred Hitchcock. En effet, le cinéaste se présente comme une sorte d’emblème. (Hitchcock et son art de la manipulation traversent d’ailleurs le précédent roman d’Hélène Frappat, Trois Femmes disparaissent, Actes Sud.) On retrouve également les marottes de l’essayiste : Jean-François Lyotard et son texte essentiel Le Différend (Minuit) , Hannah Arendt, une autre Hélène (Cixous) ou encore Gilles Deleuze. Merveille d’analyse et de concepts proposés, cet essai aborde, au final, en revisitant certains classiques de la littérature grecque, le thème de l’ironie. Car c’est toujours en vue de résister à un pouvoir manipulateur que Frappat avance le pion de l’ironie. C’est ce positionnement qui renversera les valeurs, qui donnera à Antigone sa puissance, qui permettra à Paula (l’héroïne du film de Cukor) de se sortir des griffes de son mari/harceleur. De reprendre voix. Ainsi, à lecture de cet essai, on rêverait de lire une adaptation du Journal d’un séducteur par l’autrice. Aux missives de Søren Kierkegaard, Hélène Frappat y opposerait la voix de Cordélia (la malheureuse correspondante), lui redonnerait corps. Le livre du philosophe danois demeure un art premier du gaslighting. Elle rendrait ainsi sa liberté à Cordélia. Elle que l’on ne lit pas et que l’on n’entend pas.

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