Littérature étrangère

Hari Kunzru

Larmes blanches

illustration

Chronique de Anne-Sophie Rouveloux

()

Impossible de ressortir indemne de la lecture de Larmes blanches qui transforme un récit d’amitié en histoire trouble, dont l’étrangeté rappelle certains films de David Lynch. Intriguant et obsédant !

Carter et Seth sont amis. Pourtant, ils sont radicalement opposés. Tout réussit au premier, issu d’une famille fortunée, tandis que le second d’un tempérament plutôt renfermé, vivote. Une même passion les réunit : la musique blues du début du XXe siècle. Un beau jour, dans un parc new-yorkais, Seth enregistre une voix qui semble avoir traversé les siècles. « M’ont mis aux ordres d’un homme, Cap’tain Jack qu’ils l’appelaient/Il a gravé son nom tout au long de mon dos », scande-t-elle. Après un tourbillon de fêtes dans de luxueuses villas et quelques désaccords avec son ami, Carter décide de mixer ce chant pour faire croire qu’ils ont déniché un authentique morceau datant de 1928. Le « Graveyard Blues » d’un certain Charlie Shaw est né. Sur la toile, un vieux collectionneur s’emballe. Restant sourd aux aveux de Seth qui lui révèle la supercherie, il affirme que Charlie Shaw a existé et que son nom est synonyme de malheur. Quelques jours plus tard, Carter est battu à mort dans un quartier de New York. Pour Seth, notre narrateur, le cauchemar ne fait que commencer. Et le lecteur devra le traverser seul, sans aide de Seth car son récit est si trouble qu’il est impossible de lui faire confiance. On attaque la lecture réjoui, profitant de ces sons qu’enregistre Seth, nous donnant à voir la ville bruyante, rassurante puisque vivante, puis à mesure que notre héros perd pied, le silence se fait, jusqu’à ce que le rire de Charlie Shaw éclate, recouvrant une page d’une suite de « ha ha ha ha ». Qui croire ? Et surtout quoi croire ? Hari Kunzru brouille les frontières entre passé et présent, réel et fantastique, peau blanche et peau noire, obligeant celui qui le lit à s’impliquer, pour trouver son angle de lecture, son interprétation de ce récit au final diabolique.

Les autres chroniques du libraire