Littérature française
Yasmina Reza
Serge
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Yasmina Reza
Serge
Flammarion
06/01/2021
252 pages, 20 €
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Chronique de
Marie-Ève Charbonnier
Librairie Paroles (Saint-Mandé) - ❤ Lu et conseillé par 12 libraire(s)
✒ Marie-Ève Charbonnier
(Librairie Paroles, Saint-Mandé)
Entre rires et larmes, le dernier roman de Yasmina Reza décortique, avec l’art du dialogue qui la caractérise, tous les ressorts d’une fratrie : souvenirs, complicités, bassesses, toutes les nuances y sont.
Le narrateur, c’est Jean, le cadet, le « bon garçon sans histoires ». Serge est l’aîné, le « roi des entreprises nébuleuses », celui sans lequel la famille vire à l’ennui ; Nana, leur sœur cadette. Dès l’ouverture du livre, leur mère, qui tenait la famille, cette « baraque de bric et de broc », meurt. Et la fratrie s’effiloche. Dans un temps de narration déconstruit, où le passé lointain et le passé proche alternent avec le présent, Jean raconte. Leurs jeunesses, le père violent et hypocondriaque, juif et fier de l’être. La mère indifférente ou faussement indifférente, la religion comme haut fait de discorde entre les parents. Les liens entre frères et sœur surtout, où la connivence règne bien qu'ils ne soient « ni ressemblants ni tellement liés ». Il ne se passe rien ou pas grand-chose, l’action progresse ainsi, de souvenirs en événements, mineurs ou majeurs. Le point d’orgue du livre se situe dans une visite organisée par Joséphine, la fille de Serge, à Auschwitz, sensée être un voyage de mémoire, sur les traces de leurs ancêtres. Devant ce lieu terrible et symbolique, la sincérité de chacun est mise à l’épreuve et les liens explosent. Yasmina Reza a un immense talent de dramaturge, ce n’est pas une nouveauté. Ce livre en est une preuve supplémentaire. Tout a l’air simple, les scènes s’enchaînent comme on entendrait des amis parler, au fil d’une conversation. Et pourtant le récit progresse implacablement, chaque mot à sa place, les personnages s’épaississent, les pièces s’assemblent. Le tout avec des phrases courtes, nerveuses, un rythme saccadé et une ironie implacable, marque de fabrique de l’auteure. Elle est dramaturge et cela se sent : lire ses dialogues, c’est voir les personnages s’animer devant vous, dans leurs grandeurs et leurs faiblesses, leurs petits travers et leur humanité. Un condensé de la vie au scalpel des mots.