Littérature française

Gaëlle Josse

De nos blessures un royaume

✒ Marie-Ève Charbonnier

(Librairie Paroles, Saint-Mandé)

Juin 2023. Agnès, la narratrice du roman, quitte Paris et sa compagnie de danse pour un long voyage vers l’Est en bus. C’est le début d’un périple salvateur.

Agnès a perdu son compagnon, Guillaume, un an auparavant. Le deuil est douloureux et le voyage qu’elle entreprend brutal : un déchirement, puisqu’elle quitte tout alors qu’elle est en pleine gloire, juste après avoir achevé son spectacle de danse. Comme le dit la narratrice, « pour aller là où je vais, j’aurais pu prendre l’avion ; en deux heures, c’était réglé : une diagonale à travers les nuages, hop deux jours là‑bas, mettons, et retour. » Mais, comme souvent, ce qui compte c’est le chemin bien plus que la destination. Destination qui est une des saveurs du roman et que l’on taira donc ici. Pour faire ce chemin, Agnès voyage avec peu de choses mais elle a dans ses bagages un objet essentiel, le livre d’un certain Julien Lancelle, Quelques Eden, lettres à ma fille. Et ce livre a une certaine importance, tant par le contenu même que par ce qu’il symbolise. Chemin faisant, il y a aussi les rencontres, les observations, des réflexions sur le voyage et le tourisme même. Ici, il est question de corps, de mort et de vie, de survie, du dur travail fait par les vivants pour continuer sans leurs disparus, de livres qui sauvent ceux qui les écrivent et ceux qui les lisent, de jardinage (les plantes et les fleurs, aussi, ont ce pouvoir salvateur), de symboles de toutes sortes. Il est question de bagages dont on se déleste, au sens propre et au sens figuré. Il est question de danse, de littérature et d’écriture, de poésie aussi, d’art en général. Et d’amour surtout. L’amour d’une femme pour un homme, l’amour d’un père pour sa fille. Et puis il y a, aussi, ce qu’on attend et qui n’arrive pas ; ce qu’on ne soupçonne pas et qui advient. La vie quoi ! On retrouve la douceur, une certaine nostalgie, le goût et la précision des mots de Gaëlle Josse, son pouvoir d’évocation, aussi, qui font de cette lecture un voyage court mais intense et particulièrement agréable !

Les autres chroniques du libraire