Essais

Hervé Guillemain

Schizophrènes au XXe siècle

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photo libraire

Chronique de Florence Zinck

Librairie Sauramps Comédie (Montpellier)

Dans le cadre des journées de la schizophrénie du 17 au 24 mars 2018, l’ouvrage de l’historien Hervé Guillemain aurait eu toute sa place. D’abord parce qu’il a une autre manière de désigner la folie, mais aussi parce qu’il a choisi d’étudier les angles morts de cette histoire.

D’autant plus que notre monde actuel aurait tendance à vouloir faire disparaître cette appellation (schizophrénie) des classifications mondiales. L’originalité de l’ouvrage est aussi de donner la parole aux patients et de présenter leur prise en charge médicale. Par sa plongée dans 157 dossiers de patients, l’auteur offre un témoignage riche et vivant de ceux qui ne sont pas en marche dans la société et « refusent de travailler au service du capitalisme ». À la fin des années 1920, il montre que l’apport médiatique cherche à vulgariser la notion de démence précoce, sous l’égide de chercheurs et de financiers entre autres intéressés par son développement et « dramatisent [ainsi] l’avènement d’un nouveau fléau social ». Les premiers psychiatres n’ont pas manqué de s’intéresser à eux par la psychopathologie du travail. À l’image de la domesticité féminine des années 1930, l’image masculine de ces laissés-pour-compte, ces inadaptés de la modernisation agricole vers une agriculture productiviste des années 1950, amène « la fin d’un monde dont la schizophrénie rurale est un symptôme ». Cette maladie, qui a été majoritairement féminine durant près d’un demi-siècle, a vu sa majorité basculer du côté masculin. Il est d’ailleurs possible de le constater à partir des années 1960 à Montpellier, où les trois quarts des patients hospitalisés sont des hommes. Hervé Guillemain souligne que la schizophrénie est aussi devenue un enjeu industriel pour les laboratoires pharmaceutiques. « Au début du XXIe siècle, les molécules de dernière génération ont, en l’espace d’une décennie, conquis un marché mondial appuyé sur plus de 50 millions de prescriptions annuelles rapportant chaque année plus de 10 milliards de dollars ». Devant un tel constat, il est vital de s’interroger, pour savoir si la parole du patient reste entendue.