Essais

Jean-Marc Savoye

Un pont entre deux rives

FZ

Entretien par Florence Zinck

(Librairie Sauramps Comédie, Montpellier)

Avec ce premier récit, Et toujours elle m’écrivait, Jean- Marc Savoye revisite sa vie, de ses premières amours, à la découverte d’être père, de son travail au sein de l’édition, aux décès familiaux. à la manière d’un roman- miroir, il nous dévoile le portrait de sa vie transformée par la psychanalyse.

C’est avec un style narratif très plaisant, proche du roman, que Jean-Marc Savoye nous livre le récit de sa vie. En évoquant son enfance, puis l’âge adulte, il dénoue le fil de sa pensée. La disparition soudaine de son frère Luc fut un catalyseur pour lui : « je craignais que la névrose familiale et la mienne me tendent à nouveau leurs filets ». Avec le regard de son analyste Philippe Grimbert, il revisite son passé. On entend alors deux voix pour saisir les tourments, les joies comme les peines, d’un homme empêtré dans son histoire et pour qui l’expérience du divan va s’avérer salvatrice et lui permettre d’entrevoir un nouvel horizon. Dans le sens caché des mots, il trouvera les clefs de ses affres, ce qui lui permettra de se remettre en mouvement. Ce récit autobiographique, d’une certaine façon, fait l’éloge de la pratique analytique et peut permettre aux néophytes de se familiariser avec celle-ci. Reste à chacun d’entre nous d’entreprendre sa traversée personnelle, pour assumer son passé et choisir sa vie.

 

PAGE — Votre ouvrage présente une forme inédite et singulière. Expliquez-nous pourquoi avoir invité votre analyste Philippe Grimbert à s’immiscer dans les interstices de votre récit ?
Jean-Marc Savoye — Je me souviens précisément du moment où j’ai eu l’idée de ce récit. C’était en séance, devant Philippe Grimbert. Je lui parlais une fois encore de mon envie d’écrire et je m’entends lui dire : « Si j’écrivais, j’aimerais raconter comment opère l’analyse ». En revanche, je ne sais plus quand j’ai pensé lui demander d’intervenir dans le récit. Une fois celui-ci terminé, je crois. C’est une idée qui m’est venue plus en tant qu’éditeur qu’en tant qu’auteur. L’éditeur cherche toujours ce qui va intéresser le lecteur, ce qui ne s’est pas encore fait. C’est le cas ici. À ma connaissance, en francophonie du moins, cela me semble une première. D’habitude, c’est l’analyste qui parle et qui, pour étayer sa démonstration, convoque quelques cas de patients. Ici, c’est plutôt l’inverse : c’est le patient qui raconte et qui sollicite l’analyste. D’une certaine façon, avec P. Grimbert, nous avons retourné la lorgnette. C’est une façon de mettre l’analyse en perspective et à distance. J’adore retourner les lorgnettes !

P. — Un jour, vous avez écrit : « l’écriture est la seule réalité acceptable pour un névrosé ». Voilà une belle résonance entre votre existence et l’écriture qui vous façonne, comme si vivre et écrire étaient indissociables…
J.-M. S. — J’ai écrit cette phrase dans mon journal, dans un moment où je trouvais que les brumes étaient longues à se dissiper. Que la réalité était pesante, rude et que j’avais du mal à m’en dépêtrer ! Seul devant votre feuille blanche, il n’y a pas de contraintes, les autres n’interfèrent pas, il n’y a pas de contradictions. Et même si le monde qui s’offre à vous ne mesure que 21 cm sur 29.7, c’est le vôtre et vous pouvez l’inventer comme vous le voulez. Et de ce monde-là, la névrose est absente. En cela, l’écriture fait diversion et allège le poids du réel. Vous pouvez, sans pression, sans urgence, sans jugement, décortiquer vos craintes, les formuler, les analyser. Pour moi, ce fut crucial. Finalement, les mots m’ont permis de négocier avec moi-même la réalité. Il ne s’agissait pas de l’éluder, ce qui signerait l’échec complet de l’analyse, mais bien de l’apprivoiser pour pouvoir faire face au travail, à l’amour, à mes désirs.

P. — Comment interprétez-vous l’attitude paradoxale de votre mère qui, lors de ses voyages, vous affirmait qu’elle ne vous écrirait pas, alors qu’elle le faisait systématiquement, comme l’indique le titre de votre livre ?
J.-M. S. — Parce qu’elle m’aimait ! Mais il est vrai que m’écrire, après m’avoir assuré du contraire, témoignait sans doute de l’ambivalence de son désir originel à mon égard. Ma mère avait été meurtrie par un père qui lui avait dit qu’elle ne savait pas écrire le français. Elle partait du principe qu’elle n’était pas capable d’écrire : rédiger ne serait-ce qu’une carte lui coûtait beaucoup et je le savais. C’est par le biais de ses lettres que l’écriture est entrée dans ma vie et qu’elle a acquis cette importance, mais aussi ce côté sacré qu’il m’a été si difficile de dépasser. Le premier titre que j’avais donné à ce récit était « Je ne t’écrirai pas ». Cette phrase que ma mère prononçait à chacun de ses départs résonne encore dans ma tête avec une présence étonnante. Mais beaucoup trouvaient que c’était trop dur. Et de fait, c’était un peu « la mauvaise mère » qui s’exprimait dans cette formulation. Et toujours elle m’écrivait souligne celle qui fut aussi la « bonne mère ». Finalement, celle à qui je dois ce récit.

P. — C’est à l’issue de quinze années d’analyse que vous témoignez aujourd’hui de ses bienfaits. Est-ce une façon pour vous de redonner à la psychanalyse – quelque peu critiquée actuellement – ses lettres de noblesse ?
J.-M. S. — Ce n’est pas mon but. Je n’ai pas l’âme d’un prosélyte et je suis le premier à émettre des réserves sur l’analyse : c’est long, onéreux, aléatoire… En même temps, je trouve que le procès, souvent violent, qui est fait – disons depuis Le Livre noir de la psychanalyse (10/18) – est injuste. Il faut dire que les psychanalystes avec leurs guerres picrocholines et leur jargon de spécialistes ont beaucoup contribué à renvoyer une image détestable de la psychanalyse. Ceci étant, je ne vais pas dire ici le contraire de ce que j’ai écrit dans mon livre. Je ne sais pas si la psychanalyse guérit, mais elle soigne. Le nier me semble malhonnête. Et en ce qui me concerne, je continue de penser qu’elle m’a sauvé de la dépression et sans doute du naufrage. Un dernier mot : si mon projet était bien de raconter une analyse (la mienne) et ses méandres, j’ai compris au fil du récit qu’il s’agissait surtout de traquer ma vérité. Au fond, je suis convaincu que cette aventure-là est la seule qui vaille vraiment. Et qu’on le veuille ou non, l’analyse est un moyen d’y parvenir – pas forcément le seul, mais c’est celui que j’ai choisi – et il fonctionne.

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