Littérature française

Clothilde Salelles

Nos insomnies

✒ Deborah Vedel

(Librairie Les Temps modernes, Orléans)

Chaque rentrée littéraire est une promesse de découvertes : Clothilde Salelles, chercheuse en sociologie politique, en est une des plus brillantes révélations, avec son premier roman Nos insomnies.

« Je n'étais pas sûre de croire mon père quand il disait partir au travail le matin. » Le ton de cet étonnant premier roman est donné dès la première ligne. La figure évanescente du père plane au-dessus de chaque phrase, sans être tout à fait présente. Tout débute pourtant sous des apparences plus que normales : un village de banlieue périurbaine, dans les années 1990, où une petite fille grandit, entourée de ses parents et de ses frères. Pourtant, le secret est bien caché : aucun des membres de cette famille ne dort pendant la nuit. Chacun vaque de son côté, tentant de passer le temps et vaincre le rythme si particulier de l'insomnie. Le sujet est tabou, à l'extérieur comme au sein de la famille, comme si, par une vaine et inversée méthode Coué, le sommeil allait revenir. La question du langage est primordiale tout au long de ce roman ‒ l'étrangeté qui transparaît peu à peu de cette cellule familiale et de la figure paternelle est accentuée par le point de vue de la narratrice qui ne sait pas encore poser ses propres mots sur ce qu'elle voit. Elle utilise les mots, définitifs, de ses parents, sans tout à fait les comprendre : les « journédificil », le « maldedos », les « problemd'argent », les « bruitsd'travaux »... Ces derniers rythment la vie de la famille et surtout celle du père, particulièrement sensible à la privation de sommeil, au bruit des voisins, aux nuisances du lotissement tout proche. Défini par l'absence, par un rapport particulier aux objets sur lequel il n'a pourtant qu'une faible prise, ce père est au cœur du drame central, jamais nommé, sinon par un simple « cequisépassé ». Ce huis clos tout en tension mêle des réflexions sur le langage à un arrière-plan sociologique passionnant, tout en décrivant les tourments intimes de cette famille avec une grande finesse.

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