Littérature française

Monica Sabolo

Éden

✒ Cyrille Falisse

(Librairie Papiers collés, Draguignan)

Dans son nouveau livre, Monica Sabolo poursuit son exploration de l’adolescence, l’ère des découvertes et des possibles où les filles deviennent des femmes. Un roman poétique et entêtant.

Dans Crans-Montana (JC Lattès et Pocket), des jeunes gens se jaugent sans s’aborder dans le décor d’une station de ski. Dans Summer (JC Lattès et Le Livre de Poche), une adolescente de 19 ans se volatilise au bord du lac Léman. Vingt-cinq ans plus tard, son frère continue d’être anéanti par son souvenir. Grandir, c’est disparaître, murmurent les fantômes. La nature, personnage à part entière de tous les romans de Monica Sabolo, prend l’apparence d’une sylve séculaire dans Éden. Y bruissent le danger et les menaces : destruction de la forêt par une société d’exploitation, disparitions d’autochtones spoliés de leur terre et agressions violentes d’ouvriers par une force mystérieuse mi-humaine, mi-animale. C’est dans ce contexte anxiogène que Lucy, une jeune fille blonde et fascinante, est laissée pour morte, complètement nue, le corps zébré de griffures, au pied d’un mélèze. Quel est cet Éden ? Si ce n’est la prison dorée des enfants qui grandissent entourés de voix furieuses et obsédantes. Nita, la narratrice, doit sortir de ce paradis perdu où l’on s’éveille adulte malgré soi. Elle est autochtone, son père s’est un jour évanoui dans la forêt et sa voisine et amie Lucy est devenue mutique depuis l’agression. Sublime récit de l’émancipation féminine où les figures masculines sont absentes ou terrifiantes, Éden est aussi un conte écologique où la nature dépossède les hommes de leur raison ou, au contraire, leur confère une force animale, une aura surnaturelle. Entre Twin Peaks et The Village de Shyamalan, le texte de Monica Sabolo est tellement cinématographique que l’on ne peut s’empêcher de lui trouver un double dans le 7e art et avancer qu’elle est au roman d’adolescence ce que Sofia Coppola est au « Teen Movie » : mêmes atmosphères délicates et insaisissables, même maîtrise narrative de l’ennui et de la mélancolie, même grâce tout simplement.

Les autres chroniques du libraire