Polar

C’est l’histoire de la Série noire

illustration
photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

« Notre but est louable : vous empêcher de dormir. » Noire sur fond jaune, c’est l’accroche très vintage de ce beau livre, qui fête en fanfare les soixante-dix ans de la mythique collection toute de ténèbres vêtue de Gallimard, la « Série Noire ». Un beau voyage littéraire en textes et en images.

En 2011, lorsque Gallimard a fêté le centenaire de sa création, je faisais partie de ceux, quelque peu blessés, frustrés de ne pas voir plus de références à la « Série Noire » dans les expositions, les commentaires et les commémorations. Je me souviens d’ailleurs d’avoir commandé pour la librairie un maximum de « Série Noire », celles encore disponibles à couverture noire. Presque une façon dérisoire de rappeler aux lecteurs l’importance de cette littérature dans l’histoire de cette grande maison d’édition. En 2015, C’est l’histoire de la Série Noire vient « réparer » ce manque. Dans l’avant-propos du livre, Antoine Gallimard a ces belles phrases qui résument la collection dans notre imaginaire collectif : « Qu’est-ce que la « Série Noire » ? Elle est entrée dans mon imaginaire en y dévoilant un monde qui n’était pas celui des parents, ni celui de l’école, un univers émancipé, tantôt réaliste tantôt loufoque, haut en couleurs, qui me permettait de fréquenter des jeunes femmes dangereuses, de boire du whisky plus que de raison et de fumer des cigarettes toute la nuit, en compagnie de gens peu recommandables… » Le livre se veut un hommage appuyé à la collection dans son ensemble. Il a cependant l’intelligence de ne pas opposer les différentes époques, les changements de formats par exemple. Il ne fait pas l’impasse sur les errements, les erreurs. Au contraire, les auteurs s’en nourrissent, s’en amusent presque. L’ouvrage est remarquable parce qu’il retrace l’évolution d’un genre, le polar. Pas uniquement au sein de la « Série Noire ». La concurrence est citée. Ainsi on apprend que Le Facteur sonne toujours deux fois de James M. Cain a été publié en « Blanche » avec une préface d’Irène Némirovsky en 1936. Le livre vaut également par sa richesse iconographique, couvertures originales, photos, lettres manuscrites ou tapées sur une Remington portative. Un pan complet de la littérature – et pas uniquement policière – du xxe siècle qui défile ainsi devant nos yeux. Il est toujours bon de rappeler que, « sur les fonts baptismaux de la « Série noire », il y a deux parrains : Picasso, qui a dessiné la couverture, et Jacques Prévert qui a trouvé le titre ». Raymond Queneau et Jean Giono en sont les premiers lecteurs. Mais tout cela, c’est le passé. Le livre se veut un hommage à une vieille dame encore fringante de « soixante-dix balais ». Elle va continuer à interroger le monde, à s’y confronter. Malgré quelques fils blancs dans sa chevelure, elle reste une « Série Noire », dont les cheveux cascadent jusqu’au creux des reins.

Les autres chroniques du libraire