Polar

Kris Nelscott

Chicago Blues

JD

Entretien par Jérôme Dejean

(Librairie Les Traversées, Paris)

Après quelques années d'absence, Smokey Dalton, le détective privé de Kris Nelscott, est de retour aux Éditions de l’Aube : un nouvel opus publié fin 2020, Justice de rue, et la réédition en poche des six romans précédents. Un entretien avec l’auteure, traduit par la précieuse Benoîte Dauvergne.

Éditrice, auteure aux multiples facettes, vous abordez une multitude de genres : anticipation, science-fiction, fantasy et roman noir. Pouvez-vous nous dire s’il existe des particularités dans l’écriture ?

Kris Nelscott - Chaque genre a ses spécificités. C'est en partie la raison pour laquelle l'écriture d’un roman de genre représente un tel défi. Mais en réalité, je ne sais jamais vraiment ce que j'écris tant que je n'ai pas terminé. Comme j'ai grandi en lisant absolument de tout, les histoires n'ont pas d'étiquettes pour moi. Lorsque j'ai fini d’en écrire une, j’essaie de voir à quel genre elle correspond. Parfois, c’est facile : s’il est question d’un monde imaginaire et de pouvoirs magiques, c’est de la fantasy. Mais il arrive que ce soit plus difficile, lorsque dans le même texte, je raconte un crime et l’apparition d’un fantôme, par exemple. Je n’ai en fait aucune idée du genre littéraire de mon histoire jusqu’à ce que je remarque quel thème domine.

 

Avec la série Smokey Dalton, vous proposez des intrigues policières à Chicago, avec un fort ancrage sociétal, politique et historique. J’aimerais savoir comment vous travaillez.

K. N. - Dans le Midwest où j’ai grandi dans les années 1960, Chicago était la ville. Enfant, je m’y rendais très souvent. Plus tard, j’y suis retournée afin d’explorer chaque quartier fréquenté par Smokey, ce qui inquiétait parfois sérieusement mon mari. Cependant, Chicago a beaucoup changé ces deux dernières décennies et un grand nombre de quartiers historiques ont disparu. Je n’ai donc plus vraiment besoin de m’y rendre. Quand j’ai commencé à écrire cette série, les archives des journaux n’étaient pas consultables en ligne. Je devais aller en ville pour les parcourir sur microfiches. Aujourd’hui, je peux effectuer mes recherches en ligne. Je consulte beaucoup les journaux et les informations télévisées de l’époque de Smokey car j’y repère toujours des détails intéressants, comme le temps qu’il faisait telle semaine de telle année. Je découvre également des événements, comme le gala donné par Aretha Franklin dont je parle dans Les Faiseurs d’anges. Parfois, je pense aller dans une direction, mais mes recherches me conduisent vers une autre.

 

Ces années 1960-1970 cristallisent-elles l’Amérique future ? Et pourquoi avoir choisi précisément cette période ?

K. N. - Étant une écrivaine intuitive, je n’ai pas consciemment choisi cette période. C’est elle qui m’a choisie. Il y a longtemps, en 1992, j’ai lu un essai intitulé « Look Away, Dixieland », dans The Best American Essays, qui rapportait que Martin Luther King se trouvait à la première d’Autant en emporte le vent, déguisé en jeune esclave. Cette rencontre du vieux Sud avec le nouveau m’a aussitôt intéressée. La fois suivante où tous deux se sont télescopés aussi violemment, c’est lorsque le Dr King a été assassiné. En y réfléchissant, j’ai pris conscience que d’autres enfants participaient à cette première. Et voilà, Smokey Dalton était né ! J’ai écrit le premier roman de la série dans la foulée et je ne l’ai jamais regretté. Si j’ai donné à Jimmy le même âge que le mien, c’était sans doute un moyen pour moi d’explorer certaines périodes perturbantes de mon enfance.

 

Smokey Dalton apparaît dans sept romans et deux nouvelles. Avez-vous l’intention de poursuivre cette série ?

K. N. - Oui, j’ai l’intention d’ajouter beaucoup d’autres volumes à cette série et espère en achever un cette année. L’idée de m’immerger à nouveau dans son monde pendant le mandat de Trump était pour moi inenvisageable. C’était si démoralisant de voir ce raciste au pouvoir ! Pendant ces quatre années, j’ai passé une grande partie de mon temps à manifester, à faire des dons et à préparer l’élection, convaincue que si nous ne nous débarrassions pas de ce monstre, il ne resterait bientôt plus rien de notre pays. Il s’en est fallu de peu. À présent, nous devons faire en sorte que Trump et consorts ne reviennent pas au pouvoir. Il y a encore du travail, mais la situation n’étant plus la même, je peux continuer à m’investir dans cette tâche tout en écrivant des romans plus complexes. Ce n’est pas trop tôt !

 

De La Route de tous les dangers à Justice de rue, Kris Nelscott nous entraîne dans l’univers de Smokey Dalton, privé noir dans une Amérique raciste. La série débute en 1968, dans un pays en proie au deuil avec l’assassinat de Martin Luther King qui déclenche la colère des minorités et des laissés-pour-compte. Pétris de doutes, les États-Unis s’enlisent dans la guerre du Vietnam. C’était il y a plus de cinquante ans mais les thèmes abordés, les intrigues sont toujours cruellement d’actualité. Racisme, violence faite aux femmes, exploitation des enfants. C’est sombre mais empli d’humanité car l’auteure, vous l’aurez compris dans l’entretien, est une incorrigible optimiste, à l’image de son personnage et inversement. Le mot de la fin, celui de l’auteure : « Je vous remercie de vous intéresser à Smokey et à mon œuvre ! ». Courrez donc chez votre libraire !

 

Photo Kris Nelscott © Lauren Lang

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