Polar

Renversement de situation

Previous Next
JD

✒ Jérôme Dejean

(Librairie Les Traversées Paris)

Michael Connelly était l’invité d’honneur des Quais du Polar à Lyon, fin mars. L’occasion pour lui de rencontrer son public français, de venir présenter son dernier ouvrage, Volte-Face, traduit chez Calmann-Lévy, et de fêter le premier anniversaire de la collection « Robert Pépin présente ». Pour nous lecteurs, l’opportunité de revenir sur vingt ans de carrière, depuis son premier livre, Les Égouts de Los Angeles, et de toucher au plus près l’art du créateur de Harry Bosch, de Mickey Haller ou encore de Jack McEvoy.

La mission est simple. En apparence. Prendre un train, débarquer à Lyon, ancienne capitale des Gaules, et m’infiltrer aux Quais du Polar, La Mecque du roman policier et du roman noir. Un lieu devenu incontournable au fil des ans pour les aficionados du genre. Cette année a un goût particulier, le grand Michael en est l’invité d’honneur avec ses compatriotes des États-Unis. Une étrange atmosphère imprègne les lieux, les gens semblent retenir leur souffle. Le brouhaha de la ruche se fait bourdonnement. Le voilà, toutes les têtes se tournent. Il est 15 heures 25 – j’ai regardé ma montre –, il va s’asseoir, la première séance de dédicaces peut débuter. Un mouvement parcourt la foule, une vague qui, lentement, se dirige vers le fond de la salle. Le festival vient de commencer. Un événement me revient en mémoire. Je viens d’apprendre la mort de Harry Crews, l’auteur du Chanteur de Gospel et du remarquable Des mules et des hommes. Dans un entretien accordé au Los Angeles Time daté du 1er avril 2012, Michael Connelly, qui fut son ancien élève à l’Université de Floride, se rappelait : « La leçon particulière que j’ai gardée de lui est ce simple adage : si vous voulez être écrivain alors vous devez écrire chaque jour, même si c’est seulement un quart d’heure. Cette ultime partie sur le quart d’heure m’a pas mal servi. Je continue à écrire tous les jours depuis plus de trente ans, même si parfois c’est seulement un quart d’heure. » Un peu plus tôt dans l’article il ajoute : « je ne me souviens pas d’un seul bouquin qu’il nous ait donné à lire, mais je me rappelle de lui... Il était brut et il a été le premier écrivain vivant que j’ai jamais rencontré. » Bel hommage d’un écrivain vivant à un autre disparu. À la séance de dédicaces succède une conférence dans la grande salle de l’Hôtel de Ville. Bois précieux, parquet qui craque, lustres baroques et gigantesques qui semblent écraser de leur opulence les quelque 350 personnes venues l’écouter, lui et trois de ses compatriotes, Patricia MacDonald, Craig Johnson et Donald Ray Pollock. Il y évoque son passé de journaliste d’investigation et le prix Pulitzer qu’il reçut avec d’autres confrères pour une enquête sur l’affaire Rodney King, ce Noir passé à tabac par les forces de police de Los Angeles au début des années 1990 et qui provoqua des émeutes dans de nombreux quartiers de la ville, menaçant d’enflammer l’ensemble des États-Unis. L’affaire déboucha sur deux procès retentissants. Il ne s’appesantit pas sur cette fusillade dont il aurait été témoin enfant, mais ne renie pas qu’elle lui a certainement donné un intérêt pour l’enquête criminelle, sous toutes ses formes. De sa naissance à Philadelphie qu’il quitte à 12 ans, Los Angeles ou encore la Floride où il s’est installé, il dit « être de partout », mais reconnaît que la ville est un terreau pour ses romans policiers. Il préfère d’ailleurs le terme de roman d’investigation. L. A. est une ville violente, il glisse dans un sourire qu’il se sent un peu tricheur, qu’il lui suffit d’observer, de lire la presse, d’accumuler les informations. Il ajoute que le pire moment, c’est de se mettre devant l’ordinateur pour rédiger ; « donc je recule cet instant au maximum en faisant des recherches, beaucoup de recherches… » Enfin, il évoque Hieronymus Bosch, l’enquêteur au nom de peintre flamand, Harry pour les intimes, ancien du Vietnam, et l’importance de la résilience dans l’état d’esprit américain vis-à-vis de cette guerre mal vécue, mal digérée par toute une génération, la sienne, celle de ses personnages. Grave, concerné, habité.

Après une présentation du film La Défense Lincoln à l’Institut Lumière, le voici qui peut goutter un bon repas et un repos bien mérité. C’est sans compter sur les un an de la collection « Robert Pépin présente », chez Calmann-Lévy, dont Volte-Face, son nouvel opus, est le fer de lance. Dîner en compagnie de Lee Child, personnage au flegme tout britannique, même s’il vit la plupart du temps à New York, et de C. J. Box, à la bonhomie communicative et venu tout droit du Wyoming. Connelly nous rejoint. Il est presque 21 heures, il semble fatigué. Les présentations sont faites, les nombreux libraires invités pour l’occasion paraissent impressionnés. C’est un taiseux, nous a-t-on prévenu peu de temps avant son arrivée. Un ange passe, les plats, les boissons se font attendre, il s’interroge sur le nom de la brasserie, le Nord, alors qu’il pensait que nous étions au sud. Explication sur les quatre points cardinaux et la chaîne de restaurants, la discussion se poursuit. Il y est très peu question de ses livres. Amazon, le livre numérique, la disparition des librairies aux États-Unis, tout cela l’inquiète. Il évoque la tentative du prix unique du livre aux États-Unis, hélas enterrée. Curieux, concerné, il sourit quand on lui parle d’une série policière télévisée où il joue son propre rôle en compagnie de Dennis Lehane et James Patterson autour d’une table de poker. Il s’excuse en partant. Une longue journée l’attend le lendemain. Je ne vous ai pas parlé de Volte-Face, où Bosch et Haller font équipe afin de renvoyer un coupable sous les verrous… Relisez bien.