Don Winslow est de retour ! Il nous manquait… Et son retour est à la hauteur des attentes de ses lecteurs. Il nous revient avec le premier volet des enquêtes de Frank Decker, ancien militaire, sergent de police à Lincoln, ville du Nebraska. L’homme est un bon flic, tenace et rigoureux. La disparition de Hailey Marie Hansen, fillette de 5 ans, et la promesse qu’il fait à la mère de l’enfant de poursuivre inlassablement ses recherches malgré la décision de sa hiérarchie d’interrompre l’enquête, vont agir sur lui comme le détonateur d’une bombe à fragmentations. Frank envoie tout valser : son boulot et ses chances de promotions, son mariage qui bat de l’aile. Le voici désormais sur les routes, au volant de sa vieille Corvette Stingray 74 héritée de son père. De motels en fast-food, il explore dans relâche la moindre piste. Au fil des mois, la quête de Decker se transforme en obsession, avant de s’achever à New York, ou plutôt dans les banlieues cossues de la capitale du monde. C’est vif, rapide, enlevé…
Page — Après Neil Carey, Boone Daniels, Bobby Z ou encore Frankie Machine, voici un tout nouveau personnage. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Frank Decker ?
Don Winslow — Frank Decker s’est donné une mission : retrouver des personnes disparues alors que tout le monde semble avoir abandonné les recherches. Lorsque nous faisons sa connaissance, c’est un ancien Marine. Bientôt, il sera un ancien flic. C’est un type simple en apparence. Une façon directe de s’exprimer, doté d’un sens moral et d’une détermination sans failles. En grattant la surface, il apparaît comme un homme plus complexe, qui doit faire face à de difficiles questions sur lui-même, une en particulier : jusqu’où est-il prêt à aller pour ramener la personne disparue?
Page — Votre livre traite de la recherche de la vérité et de ce que signifie réellement les liens du sang ? Pourquoi avoir abordé ces sujets ? Sont-ils importants pour un écrivain ? Pour un homme ?
D. W. — Bien sûr. Chaque enquête, surtout celle où l’on recherche une personne de chair et de sang, est une enquête sur deux vérités, extérieure et intérieure. Le détective, l’enquêteur va apprendre la vérité sur ce qu’il est vraiment arrivé à cette personne, mais aussi apprendre sur lui-même. Le monde se révèle et lui aussi. C’est ce qu’un bon écrivain fait. J’espère y parvenir. J’essaie du moins. Je pense que c’est important cette quête d’identité. En tant qu’écrivain et en tant qu’homme.
Page — Le roman débute dans le Nebraska, puis Frank traverse le pays et la quête s’achève dans les quartiers huppés de New York. Était-il important pour vous de montrer les différences entre l’Amérique du haut et celle du bas ?
D. W. — En effet, c’est un des buts – et l’un des plaisirs – de cette série. Chaque année, mon épouse et moi-même roulons à travers le pays, en prenant différentes routes. C’est une terre immense et extrêmement variée et je veux que le lecteur qui accompagne Decker voit cette variété – la campagne face à la ville, les petites bourgades face à la métropole, l’Ouest différent de l’Est, etc. Je souhaite également que Decker voyage de façon plus verticale, si vous voulez, au travers des strates économiques et sociales. La notion de crime est toujours à mettre en parallèle avec la société et l’économie. L’appartenance ethnique et la couleur de peau, des questions qui sont au cœur de mes préoccupations, sont tristement redevenues d’actualité avec les événements de Ferguson l’été dernier. Decker est un observateur, un témoin de ces problèmes. En ce qui concerne la petite ville face à la grande, c’est un bon vieux thème qui n’a pas pris une ride. Et puis c’est amusant de perdre le cow-boy au milieu de Time Square, ou le citadin en plein champ.
Page — Votre livre m’a fait penser au film de John Ford La Prisonnière du désert. Heureusement, il faut moins d’un an à Frank pour retrouver Hailey, contre cinq ans pour la nièce dans le film. Avez-vous vu ce film et y voyez-vous un parallèle ?
D. W. — J’ai vu La Prisonnière du désert à de nombreuses reprises et j’ai lu le roman. C’est impossible d’écrire une histoire comme Missing New York et de ne pas faire référence à ce film, basé d’ailleurs sur une histoire vraie, dans laquelle le personnage interprété par John Wayne était en réalité un esclave afro-américain tout juste libéré. J’ai souvent déclaré que le roman policier prenait sa source dans le western à deux sous. Plus de frontières à repousser et le cow-boy se transforme en détective. Les thèmes, les figures de style et le code moral sont identiques. Dirty Harry se termine comme Le Train sifflera trois fois et Scorsese cite La Prisonnière dans Taxi Driver. Oui Decker a quelque chose du cow-boy, cet homme seul qui chevauche à travers la plaine.
Page — Dans Missing New York, Frank Decker n’est pas qu’un enquêteur au sens classique du terme, il utilise les nouvelles technologies et en particulier les réseaux sociaux. C’est un Philip Marlowe moderne ?
D. W. — Marlowe est le saint patron du roman noir – tous les détectives sont ses enfants. Avec Marlowe, Chandler a défini ce qu’un héros doit-être – « Dans ces rues sordides doit s’avancer un homme qui n’est pas sordide lui-même. » Fondamentalement, c’est un type bien qui se confronte à un monde de corruptions – c’est l’histoire du roman noir – la technologie ne change rien à ce fait. Chaque pas est différent, mais la route reste la même.
Page — Ce roman parle aussi de justice et de valeurs morales. Pourtant le personnage envoie tout valser au début, son travail, son mariage. Ce voyage est-il sa rédemption ?
D. W. — Je dirais que la plupart des voyages sont une recherche du salut. Ou nous ne les ferions pas. Encore une fois, Decker doit retrouver cette petite fille, mais il doit aussi résoudre quelque chose sur lui-même. Une chose qu’il ne peut trouver en restant enfermé dans son travail et son mariage. Une fois de plus, c’est un thème de western – le guerrier qui effectue un rite de passage afin de trouver le sens de sa vie. Je voulais dépasser la simple ironie, afin d’enquêter sur une vérité fondamentale : que signifie être humain dans une époque de plus en plus inhumaine. Si nous ne faisons pas tout pour sauver un enfant, qui sommes-nous ?
Page — Sur la quatrième de couverture de l’édition française, on peut lire cette phrase: « La première enquête de Frank Decker ». Quand pourrons-nous lire la suite ?
D. W. — Très bientôt. J’ai plusieurs romans en préparation avec Decker. Je connais ce qui va lui arriver, de l’intérieur comme de l’extérieur. Où il va, ce qu’il fera, ce qui lui arrivera. Gardez l’œil ouvert.
Page — Une dernière question, pouvez-vous nous dire si parmi les auteurs français contemporains, vous avez un auteur préféré ?
D. W. — La triste vérité, c’est qu’entre le fait d’écrire et les recherches que j’effectue pour mes livres, j’ai très peu le temps de lire pour le plaisir. J’ai cependant eu l’occasion de lire Les Âmes grises de Philippe Claudel que j’ai beaucoup aimé. Cela étant, j’ai aussi fait une fois un pèlerinage sur la tombe de Maupassant afin d’y déposer des fleurs et j’ai lu presque toute l’œuvre de Zola. Et je considère Balzac comme l’un des pères du roman criminel moderne.