Littérature française

Cécile Wajsbrot

Sentinelles

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photo libraire

Chronique de Catherine Le Duff

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Après la musique et la sculpture, Cécile Wajsbrot ancre le roman Sentinelles dans le monde de l’art contemporain. Le vernissage de l’exposition d’un vidéaste est le point de départ et d’arrivée de ce roman, qui « se raconte uniquement à travers des dialogues, bribes de conversations, et des prises de paroles intérieures ».

Un jour, un vernissage, un vidéaste, dont l’art « fait souvent appel à d’autres arts, sorte de carrefour entre l’image, le texte et le son ». L’artiste est entouré de proches et de moins proches, foule anonyme dont les individus se trouvent incarnés par leurs conversations, leurs dialogues intérieurs. Cécile Wajsbrot ne donne « plus de noms mais des désignations, ce qui suffit à se repérer et correspond mieux à ce que [je] cherche, donner accès à des consciences ». Peu à peu, l’on reconnaît des voix, celles des « figures principales que sont l’artiste, la confidente, le critique, l’agent de sécurité et quelques autres ». La soirée laisse les invités à leurs tics et à leurs obsessions, de l’histoire au temps qui passe, de l’exposition à l’artiste. Chacune de ses voix s’imprime en nous, on les reconnaît et puis on les attend. Comme dans cette histoire, « chacun attend quelque chose ou quelqu’un. À l’image de la vie. On attend toujours, et souvent quelque chose d’autre que ce qui arrive. » Lorsque survient l’imprévu, les conventions s’effacent au gré des silhouettes qui se confondent, se répondent et font face à l’inconnu. La foule solidaire avance à tâtons, mais c’est dans la solitude que les individus se retrouvent. Peu à peu, les conversations reprennent, mais chacun est seul, démesurément seul face à son existence. Peut-être est-ce dans cette obscurité que l’on cherche un sens à sa vie. En se faisant spectatrice des spectateurs, Cécile Wajsbrot devient l’oreille de la soirée, celle dont elle a voulu rendre l’atmosphère : on navigue « d’un groupe à l’autre, d’un interlocuteur à l’autre, inquiet de ne savoir à qui parler. » Si les regards convergent vers les vidéos de l’artiste, les mots en revanche jamais ne se rejoignent, et l’exposition n’est que le prétexte de retrouvailles orchestrées, à un incident près. Peut-être va-t-on voir dans ce roman des choses qui n’y sont pas, en rater d’autres qui y sont. Mais pour l’auteure, « on ne peut s’empêcher de voir un sens, ce qui frappe est que souvent l’interprétation que l’on peut avoir n’est pas celle que le créateur avait. Il y a d’un côté la création, de l’autre l’interprétation, les deux ont leur chemin propre ». L’écriture de Wajsbrot se voit, s’entend, se vit : le jeu de miroir qu’elle met en scène donne le ton et le temps à ce qui peu à peu devient roman. L’envoûtement nous gagne et l’on se prend à ne plus vouloir en finir. Mais même les plus grands vernissages ont une fin, quand chacun rentre chez soi. Quand chacun tourne la dernière page, il subsiste autant de questions que naissent de nouvelles incertitudes. Toutes choses propres à la vie.