Littérature étrangère
Claire Keegan
À travers les champs bleus
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Claire Keegan
À travers les champs bleus
Traduit de l’anglais (Irlande) par Jacqueline Odin
Sabine Wespieser éditeur
04/10/2012
272 pages, 22 €
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Chronique de
Catherine Le Duff
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❤ Lu et conseillé par
8 libraire(s)
- Emmanuelle George de Gwalarn (Lannion)
- Marie Michaud de Gibert Joseph (Poitiers)
- Sandrine Maliver-Perrin
- Yann Granjon de Sauramps Comédie (Montpellier)
- Stéphanie Landgraf de Maison de la presse (Wissembourg)
- Géraldine Huchet
- Aurélie Janssens de Page et Plume (Limoges)
- Dominique Montagnon de Lucioles (Vienne)
✒ Catherine Le Duff
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Après son bref roman Les Trois Lumières, Claire Keegan renoue avec la nouvelle et nous livre un recueil dévastateur, ancré dans son pays natal et la campagne qu’elle affectionne, dans des vies d’hommes et de femmes anonymes, presque anodins. Elle réussit le tour de force de nous les rendre proche. Et de nous les faire aimer.
L’Irlande de Claire Keegan est d’abord et à jamais celle de nos livres d’images et de nos inconscients : boisée, sauvage et empreinte de mystère, elle ne se donne à voir qu’avec pudeur et parcimonie, entre des lumières de feu et la rumeur de l’eau. D’une beauté insolente et intime, les saisons défilent et contemplent les existences qui s’y entrechoquent. Car au centre de ces terres presque encore vierges, on découvre des personnages meurtris par la vie, qui ne se dévoilent guère avant de se briser. En renouant avec la nouvelle, c’est cette fois les hommes, nos hommes et leurs cœurs, que l’auteur s’emploie à sonder. Qu’ils soient pères, maris, amants, tous sont fiers, orgueilleux. Pourtant, derrière leur dignité se cache un passé lourd, comme une brume matinale en hiver. Ils dissimulent leurs failles, jusqu’à ce qu’elles les trahissent. Ainsi Deegan, qui est obnubilé par le désir de posséder un jour les terres qu’il travaille et la demeure qu’il occupe, au point de ne pas voir sa femme s’éloigner et d’être insensible au regret, au chagrin. Ou Brady, à qui la colère fait perdre bien plus que quelques chevaux noirs : sa promise enfuie, c’est sa raison qui s’éloigne, et avec elle son sommeil, ses nuits, sa vie. Ou ce prêtre, tiraillé entre passions christique et charnelle. Lorsque se marie celle qu’il aime, seul un curieux guérisseur pourra le délivrer, et alors seulement il parviendra à conjuguer l’amour au passé. Et que dire du brigadier, moqué en douce par le village entier, mais qui se garde bien de perdre la face ? Autoritaire et solitaire, c’est là son seul destin. Enfin Heinrich Böll, écrivain allemand et prix Nobel qui se trouve, malgré lui, au cœur d’une dispute et à l’origine du premier roman de la femme qui s’attarda quelques jours dans sa dernière demeure. Une femme clôt le recueil, éphémère voisine d’un vieux célibataire. Un mur les séparait, un mur friable tant leurs solitudes les rassemblaient. Un enfant les réunira. Comme un semblant de bonheur, le mur s’effrite, mais peut-on jamais résister aux rumeurs qui montent ? Si de ces destinées tragiques souvent surgit l’espoir, c’est que Claire Keegan sait nous toucher au plus profond, avec les mots, les phrases les plus simples. Elle manie avec élégance le quotidien, et l’émotion surgit, les gorges se serrent sans crier gare. Les existences qu’elle s’attache à peindre sont marquées du sceau des amours impossibles, des relations interdites, de la force des traditions. L’Irlande en est le théâtre naturel, mais impossible de les y restreindre tant ces hommes et ces femmes portent en eux l’universel. Ils deviennent nôtres, transfigurés par la grâce de sa langue. Entre les lignes de ces champs peut-être bleus, laissez-vous conter leurs vies, elles sont aussi un peu la vôtre.