Bande dessinée

Brecht Evens

Panthère

BM

✒ Bruno Moulary

(Librairie Le Cadran lunaire, Mâcon)

On a découvert le travail de Brecht Evens en 2010 avec Les Noceurs (Actes Sud BD), récompensé du prix de l’Audace au festival d’Angoulême en 2011. Prix énigmatique, tant ses contours semblent flous, mais qui, dans le cas de cet album, avait la pertinence d’affirmer la singularité et la cohérence de l’avènement d’un nouvel auteur.

 

Les amateurs de bandes dessinées, curieux et à la recherche des possibilités de ce médium, ne furent pas surpris de découvrir Brecht Evens dans la collection « Actes Sud BD », dirigée par Michel Parfenov et Thomas Gabison. Depuis 2005, on leur doit nombre des propositions les plus originales et motivantes : de Notes pour une histoire de guerre de Gipi, en passant par l’indispensable Les Larmes d’Ezéchiel de Matthias Lehmann, aux plus récents Pelote dans la fumée de Miroslav Sekulic-Struja ou l’immense Ulysse, Les chants du retour de Jean Harambat. Autant d’albums qui ont la vertu de nous ouvrir à une bande dessinée internationale, et qui s’efforcent de proposer sans cesse des formes inédites, tout en étant traversés par un désir commun de raconter une histoire.
Au début de Panthère, la jeune Christine tente de nourrir Patchouli, son chat au corps osseux et ténu. « Maintenant je dois partir à l’école. Papa va t’emmener chez le vétérinaire et quand tu reviendras, tu seras en pleine forme. » Mais à son retour, l’animal n’est plus là. Son père ne trouve pas les mots, ne sait comment lui expliquer cette absence. Christine court alors se réfugier dans sa chambre à l’étage. Prostrée sur son lit, un curieux « TOC TOC TOC » issu de la commode vient rompre le silence. Surgissant d’un tiroir, Octave Abracadolphus Pantherius, dit Panthère, fait son apparition sur la scène : « Est-ce toi la petite fille que j’ai entendu pleurer ? »
Si les deux précédents albums de Brecht Evens nous offraient un éventail de personnages et de décors luxuriants, la majorité de l’action de Panthère se déroule dans cet espace clos, délimité par la chambre et dont les contours s’inventent au fil de la discussion entre les deux personnages. Tour à tour séduisant ou inquiétant, Panthère ne cesse de changer d’apparence. D’une plasticité étonnante, il semble avoir la capacité de se métamorphoser en fonction de son propos ou des attentes de Christine. Ainsi, il devient, le temps d’une case, un personnage aux allures « disneyennes », pour se révéler l’instant suivant d’une sauvagerie terrifiante, pouvant lancer un : « ça sent la petite fille ici » évoquant Charles Perrault, signe d’une ambivalence quant à ses intentions. L’anxiété est là, mais le drame se joue hors-champ. Lorsque Bonzo, la peluche/doudou privilégiée de la petite fille disparaît après avoir écrit sur le mur « méfie-toi de pant… », le seul indice quant à sa triste destinée sera un simple : « Il y a des touffes de peluche sur ta langue », adressé à l’ami Panthère. L’extraordinaire planche où le père ouvre la porte de la chambre, créant à la fois l’effacement de l’animal de son champ visuel et révélant dans un même mouvement à quel point ce lieu est habité dans ses obscurités, est emblématique de la volonté de Brecht Evens de nous offrir un monde fantastique dont la réalité est sans cesse mise en débat.
D’une beauté visuelle inouïe, Panthère est un album à l’image de la créature qu’il met en scène : séduisant et dérangeant.

 

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