Littérature française
Ruth Zylberman
La Direction de l’absent
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Ruth Zylberman
La Direction de l’absent
Christian Bourgois éditeur
09/04/2015
177 pages, 12 €
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Chronique de
Caroline Clément
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❤ Lu et conseillé par
2 libraire(s)
- Bertrand Morizur de L'Arbre du Voyageur (Paris)
- Sylvie Vacher de Masséna (Nice)
✒ Caroline Clément
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Ruth Zylberman a le même âge que sa narratrice. Réalisatrice, elle écrit ici son premier roman. La Direction de l’absent est le surgissement du passé. Histoire familiale d’une déportation. Écho raisonné et vibrant de l’horreur traversée.
Ce ne sont pas des chimères. Ce ne sont pas des fantômes, ni des ombres lointaines, ni des spectres du passé. Non, la narratrice n’a pas rêvé. Elle a bien vu, dans les yeux de sa mère. Elle a bien lu. Le froid, la douleur, l’indicible douleur. Elle a tout entendu du silence, des regards, interrogeant les traits des visages, les rues, les immeubles de la ville, l’intérieur des façades. Elle a bien observé : sa grand-mère, sa tante, sa mère ; la main d’une petite fille serrée très fort, tirée par la main de sa mère ; puis d’Ovadia, l’absent, le père. « Je suis née dans le Xe arrondissement de Paris, le 30 avril 1971. Soit vingt-six ans après la fin de la Guerre, la seule qui vaille, la deuxième », nous dit celle qui hérite et qui prend son héritage à bras le corps. À l’aube de la quarantaine, où est passée sa vitalité débordante ? Où s’est noyée cette joie, cette lueur absolue, soufflée, commandée par la vie, appelée par sa mère ? Rempart à l’horreur, avec la lecture, avec les livres. Sous le sceau de la filiation, du lien familial, elle écrit l’histoire, la quête. Ovadia. La déportation. Le camp de Bergen-Belsen. Ruth Zylberman, réalisatrice, livre ici son premier roman. Sous la forme d’une plainte abyssale, ténue et hurlante à la fois, son texte sonde l’horreur du passé, les faits, le désir d’abandon, la profondeur glaçante. Photographie terrifiante donnée à voir et à revoir, pour comprendre, inlassablement, La Direction de l’absent est aussi l’enquête, la poursuite, le questionnement. Ruth Zylberman emploie la langue. Sombre et superbe poésie. À la fois maîtrisée, ivre et mesurée, sa voix rend comme un hommage à tous les déportés. Elle est comme une parole soudainement déliée, consciente, déployée. Le poids d’un passé sombre, englouti et sans cesse resurgi. La vie derrière l’horreur, et son aspiration, d’une éclatante, irrésistible beauté.