Bande dessinée

Kris , Barbara Pellerin , Vincent Bailly

Mon père était boxeur

illustration

Chronique de Claire Rémy

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Photographe, réalisatrice et enseignante en photographie, Barbara Pellerin s’est ouverte de son histoire familiale, et donc intime, à Kris et Vincent Bailly, qui ont su s’en emparer sans voyeurisme ni mélodrame, pour nous offrir une lecture émouvante et fine. Où il est question de boxe, de filiation et de bienveillance.

Hubert Pellerin a eu plusieurs vies. D’abord boxeur professionnel jusqu’au début des années 1980, il a été trois fois finaliste des championnats de France. Trois matchs, trois défaites. Il a pourtant connu ses premiers succès de boxe alors qu’il avait 18 ans et était encore ouvrier à Barentin, près de Rouen, usine dans laquelle il rencontrera la mère de Barbara, son soutien pendant dix-sept années. Ayant mis un terme à sa carrière, il deviendra représentant d’une marque d’alcool et troquera sa vie sur le ring pour un quotidien sur les routes. Commence alors une vie faite d’absence et d’excès qui lui coûteront son mariage. Il reviendra ensuite à ses premières amours en devenant entraîneur et président de club. C’est dans ce cadre que sa fille décide un jour de tourner un reportage sur la boxe, au sein du club de son père. Les relations entre eux sont plus que distantes. Deux ans qu’ils ne se sont vus quand le projet se lance. S’ils en sont arrivés là, c’est que Barbara garde de ses souvenirs d’enfance l’image d’un père violent et trop grand buveur, qui, s’il n’a jamais levé la main sur elle, se mettait dans des colères effroyables contre sa mère. Par bribes reviennent aussi des souvenirs plus tendres ou heureux, moments fugaces où son père tentait maladroitement de lui montrer son amour. Au moment du reportage, son père est sujet à de graves phases de dépression qui l’entraînent en hôpital psychiatrique, et, comme à l’époque où Barbara était enfant, on sent qu’il n’y a que la boxe qui lui procure fierté et envie. Même si elle ne se l’avoue pas, c’est évidemment dans l’optique de recréer un lien avec lui qu’elle entreprend ce documentaire. C’est alors un jeu du chat et de la souris qui s’engage entre eux. Son père, se cachant derrière le club, est heureux de se retrouver à nouveau dans la lumière et n’arrive à communiquer simplement que lorsqu’il parle de sa passion. Dans le même temps, Barbara s’émerveille des moments précieux qu’elle arrive enfin à partager avec lui, mais se ferme et le rejette au moindre faux-pas. Il aurait fallu plus de temps à ces deux-là pour se retrouver pleinement et s’apprivoiser…
À l’origine de ce récit, il y a donc un film (que vous pourrez retrouver en complément du livre), dernières images et ultime déclaration d’amour d’une fille à son père. La BD se greffa plus tard, à la suite d’une rencontre qui se transforma en amitié entre Barbara et Kris. Ce dernier a mis le talent de conteur qu’on lui connaît au service de l’histoire extrêmement personnelle de Barbara, pour en faire un récit magnifiquement construit, dans lequel les flash-back s’ajustent parfaitement aux scènes plus contemporaines. Le ton est juste, les mots remarquablement trouvés pour exprimer à la fois une enfance difficile face à un homme imprévisible, en même temps que la détresse de ce même homme. Comme à son habitude, Vincent Bailly propose un dessin vif et percutant (comment rester de marbre face aux « gueules » des amis d’Hubert, de bars ou de ring, le jour de son enterrement ?), et donne beaucoup de force au regard de cette petite fille qui, toute sa vie, chercha celui de son père. Photographe, réalisatrice et enseignante en photographie, Barbara Pellerin s’est ouverte de son histoire familiale, et donc intime, à Kris et Vincent Bailly, qui ont su s’en emparer sans voyeurisme ni mélodrame, pour nous offrir une lecture émouvante et fine. Où il est question de boxe, de filiation et de bienveillance.Barbara Pellerin, Kris, Vincent Bailly
Mon père était boxeur
Futuropolis
80 p., 20 €