Bande dessinée

Rochette

Ailefroide

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Chronique de Claire Rémy

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Que vous soyez ou non amateur d’alpinisme et de haute montagne, ne passez pas à côté de cette Ailefroide – Altitude 3954, publiée par Casterman. Comme pour Le Sommet des Dieux de Jirô Taniguchi (Kana), c’est d’une aventure humaine qu’il est d’abord question, de dépassement de soi face à la nature pour une introspection passionnante.

Quand on ouvre Ailefroide, la nouvelle bande dessinée de Jean-Marc Rochette, on est d’instinct frappé par la beauté à couper le souffle du dessin. Le dessinateur de Transperceneige (Casterman), un classique de la BD de science-fiction, se raconte pour la première fois dans un récit intimiste et d’une force incroyable. Ce n’est pourtant pas en haut d’une montagne qu’on le retrouve, enfant, mais bien dans un musée, celui de Grenoble précisément, complètement hypnotisé par Le Bœuf écorché de Soutine. Plus tard, dans la journée, c’est au cours d’une randonnée avec sa mère qu’il tombera amoureux de la montagne. Une même journée pour la révélation des deux passions qui bouleverseront sa vie. Alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années, il commencera à grimper avec un ami, aussi souvent que possible, en véritable autodidacte de la grimpe. C’est parfois – souvent – dangereux mais il est alors porté par la passion et l’insouciance de son âge : tout est possible et ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux ? Jean-Marc est élevé seul par sa mère après le décès de son père lors de la guerre d’Algérie. Leurs relations sont tendues, douloureuses et ce n’est que dans l’alpinisme que Jean-Marc rayonne, se sent libre et léger, lui, le garçon solitaire et insolent de l’internat où il est coincé pour avoir « un cadre et de la discipline », comme dit sa mère. Lorsqu’il est enfermé entre quatre murs, c’est dans le dessin qu’il s’échappe, inspiré par ses lectures de L’Écho des Savanes et ses livres de peinture. À dix-huit ans, c’est l’indépendance : Jean-Marc quitte sa mère et s’installe en colocation : la montagne reste sa priorité mais un équipement de qualité nécessite de l’argent. C’est le temps des premières publications dans des fanzines comme Art Press puis dans le prestigieux Actuel, LE magazine underground des années 1970, qui vit notamment passer Crumb dans ses pages. Malgré tout, à ce moment-là, il veut toujours être guide de montagne et il doit pour ça étoffer sa « liste de courses », sorte de CV sur lequel défilent les voies et les sommets atteints, nombreux et variés, afin de pouvoir se présenter à « l’aspi », la formation d’aspirant guide. Après le décès de son compagnon de cordée, il continuera cette liste avec deux autres candidats au diplôme mais les difficultés sont de plus en plus nombreuses et les accidents se succèdent jusqu’à celui qui mettra fin à ses ambitions les plus chères. C’est son autre passion pour le dessin qui le sauvera et qui, d’une certaine façon, lui permettra de retrouver la montagne des années plus tard et le plaisir qui va avec. Dans cette BD où encore une fois la montagne gagne sur l’Homme, on est pris à la gorge dès la première grimpe par l’altitude et l’ivresse de la montée. On ressent le vide à chaque page, un véritable vertige nous étreint à la lecture et cette sensation est tout bonnement impressionnante. Extrêmement personnel, ce livre est fait de sueur, d’efforts, de remises en question et de courage. Il est facile de dire que cette BD est vertigineuse mais elle l’est véritablement !