Bande dessinée

Jean Dufaux

Le Chien de Dieu

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Chronique de Claire Rémy

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Que l’on ait lu ou non ses œuvres, on a tous une opinion ou une image de Céline, écrivain incontournable du XXe siècle. Alors qu’en 2015, les éditions Futuropolis nous donnaient à découvrir un épisode de sa vie dans l’éblouissant La Cavale du Dr. Destouches, elles nous proposent cette fois encore une surprenante BD pour (re)découvrir l’homme sous le mythe.

C’est un peu comme si la première planche du livre en résumait tout le propos. La grâce des pointes de ballerines côtoie l’enfer de la Grande Guerre. Le sublime et l’horreur, c’est un peu la synthèse (rapide) de Louis-Ferdinand Céline, père du classique de notre répertoire qu’est Voyage au bout de la nuit. On est à la fin de la vie de l’auteur, au début des années 1960. Céline n’est plus qu’un vieux bonhomme sale et grincheux, on le prend souvent pour un sans-abri. Il vit avec Lucette, son dernier amour, mais la solitude le ramène à ses souvenirs qui jalonnent la BD sous forme de flash-back. Tantôt sépia lorsqu’ils sont doux et joyeux, ils virent au rouge et noir lorsqu’ils le ramènent sur le champ de bataille de 1914-1918 ou sous l’Occupation de 1944. Céline se rappelle son premier amour, Élizabeth Craig, une jeune danseuse éprise de liberté, liberté de mouvements et liberté sexuelle, avec qui il vécut une passion fusionnelle. Dans les années 1930, il publie son Voyage qui emporta immédiatement Robert Denoël, alors éditeur chez Gallimard, qui n’hésita pas à le qualifier de chef-d’œuvre avant même de le publier. Mais alors qu’il rate de peu le Goncourt, Élizabeth quitte Louis, lassée semble-t-il de ce trop plein de liberté justement. C’est quelques années plus tard que seront publiés ses textes antisémites et que Céline s’illustrera dans des dîners par ses accès de « folie », ses esclandres anti-juifs. Si ces épisodes-là sont parmi les plus connus de la vie de l’auteur, la BD décide intelligemment de ne pas s’y étendre et de prendre le temps de montrer aussi un Céline plus méconnu : celui hanté par une guerre effroyable et qui mettra toujours un point d’honneur à exercer son métier de médecin sans distinction aucune pour ses patients. Alors que de sinistres et glaçantes visions de lui à cheval en maréchal des logis, de visages émaciés et de gueules cassées l’assaillent au moindre bruit, il peut aussi dans la seconde qui suit se rendre au chevet de marginaux en manque de soins, sans attendre de paiement en retour. Il est là pour aider les plus pauvres et leur donne même accès à la culture. S’il est impossible de totalement aimer Céline à la fin de cette lecture, difficile de faire fi de la complexité de l’homme et de s’en tenir à ses opinions quand il pouvait faire preuve d’autant de don de soi dans le même temps. La surprise, à la lecture de cette BD, ne tient pas qu’à son héros mais également à l’homme derrière ce scénario : Jean Dufaux. Le célèbre scénariste à l’origine de classiques tels que Murena (Dargaud) ou Giacomo C. (Glénat) nous étonne avec un genre qu’on ne lui connaît que peu et nous offre un récit subtil et passionnant. Les nuances sont aussi dans le dessin de Jacques Terpant, tout en détails et expressivité. Le génie est souvent fait de contradictions : le reconnaître n’est pas gage d’amour.