Littérature étrangère

Samar Yazbek

Les Portes du néant

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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Dans Feux croisés (Buchet Chastel), Samar Yazbek racontait les premiers mois de la révolution syrienne au printemps 2011. Avec Les Portes du néant, elle livre un second témoignage sur l’enfer qu’est devenue la Syrie depuis le soulèvement populaire, entre répression du régime et occupation du territoire par les djihadistes.

Samar Yazbek a pris part au soulèvement populaire syrien dès ses prémisses. Journaliste et romancière, elle ne mâche pas ses mots quand il s’agit de dénoncer la répression féroce du mouvement pour la liberté. Rapidement repérée par le régime, elle est arrêtée puis relâchée, avant d’être finalement contrainte de s’exiler à Paris avec sa fille en juillet 2011. Mais elle supporte mal d’être si loin de son pays alors que des gens continuent à se battre, malgré les bombes de Bachar al-Assad et les djihadistes venus de l’étranger. Elle décide donc d’y retourner en traversant la frontière turque clandestinement par trois fois. Ce sont ces trois séjours dans une Syrie dévastée par la guerre qu’elle raconte dans Les Portes du néant. D’abord venue pour aider les femmes à créer des micro-entreprises qui pourraient leur assurer une certaine indépendance financière, elle se laisse vite dépasser par son but initial. Chaleureusement accueillie par une famille de résistants à Saraqeb, elle se prend d’affection pour Aala, 7 ans, qui exige qu’on l’écoute raconter une histoire chaque soir, telle une petite Shéhérazade. Les histoires qu’elle raconte ne sont pas des contes de fées ; ce sont celles de ses voisins tués les uns après les autres et qu’elle tente de faire revivre à travers de minutieuses descriptions. Samar Yazbek en fera de même dans son livre, dressant le portrait de ces combattants, ces femmes, ces enfants, ces familles entières qui luttent pour leur survie et celle de leurs idéaux. L’auteure nous fait vivre la traversée de la frontière turque avec les passeurs, la peur au ventre. Elle décrit les victimes, enfants comme adultes, mutilés par les éclats d’obus et les tirs des snipers. Elle laisse imaginer au lecteur la poussière, les décombres, la précipitation pour chercher des survivants lorsqu’un baril d’explosifs tombe sur la maison d’à côté. Elle évoque la radicalisation et l’aspect honteusement lucratif de la guerre, mais aussi les projets d’école et le rire, qui constitue souvent un « antidote contre la mort » au milieu de cette folie. De famille alaouite, elle ose aller interroger un émir djihadiste et révéler ses origines – qu’elle partage avec Bachar al-Assad – à de jeunes combattants qui maudissent tous les alaouites, alors même qu’elle risque sa vie pour recueillir leurs témoignages. Mais surtout, elle rapporte les paroles de ces hommes et de ces femmes qui l’exhortent à révéler au monde qu’ils sont en train de mourir seuls, pris en étau entre les partisans d’al-Assad et les redoutables takfiri, ces extrémistes religieux qui font couler le sang des apostats. Samar Yazbek ne s’en cache pas, elle a tendance à voir les combattants et leurs familles comme un concept, comme une incarnation de son « idéal d’une Syrie juste, libre et démocratique ». Mais, loin de verser dans l’abstraction, son livre rend à cette guerre, dont la communauté internationale a décidé de se détourner, un visage tragiquement humain.

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