Littérature étrangère

John Irving

À moi seul bien des personnages

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photo libraire

Chronique de Charlène Busalli

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C’est chaque fois avec la même impatience que l’on attend le nouveau livre de l’auteur du Monde selon Garp (Points), pour ne citer qu’un seul des chefs-d’œuvre de John Irving. Et son dernier roman en date se révèle largement à la hauteur de son très beau titre.

Années 1950. Billy, 15 ans, partage son temps entre l’école pour garçons Favourite River, la bibliothèque municipale et les répétitions de la petite troupe de théâtre amateur de First Sister auxquelles participe toute la famille. Éperdument amoureux de la bibliothécaire, Miss Frost, Billy éprouve aussi des sentiments ambigus pour son beau-père, Richard Abbott, et une attirance pour un camarade d’école, le tyrannique Kittredge. En 2010, Billy, devenu écrivain et âgé d’une soixantaine d’années, se remémore son adolescence avant d’en venir à sa vie d’adulte. Et l’on comprend vite que, plus que des événements, ce sont des personnes qui ont marqué le parcours du jeune Billy resté incertain de son orientation sexuelle, à l’instar de la charismatique Miss Frost, du jeune lutteur fougueux Kittredge, de son grand-père Harry qui collectionne les rôles féminins au théâtre, ou encore de sa meilleure amie à forte personnalité, Elaine. On retrouve dans le roman de John Irving un grand nombre des thèmes récurrents de son œuvre : l’absence du père, la crise identitaire liée à la découverte de la sexualité, la lutte, la littérature et le passage obligé par la ville de Vienne. Surtout, l’auteur nous offre une fois de plus des personnages profondément attachants. Ils le sont d’ailleurs d’autant plus dans ce livre que l’épidémie de sida des années 1980 ne les laissera pas tous indemnes. Drôle, touchant, divertissant, À moi seul bien des personnages dépeint avec beaucoup de justesse la société américaine de la seconde moitié du xxe siècle en introduisant une réflexion intéressante sur le rôle que joue chacun d’entre nous aux yeux des autres. Car, comme le disait si bien Shakespeare : « Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n’en sont que les acteurs. »

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