Beaux livres

Franck Pavloff

Matin brun

illustration
photo libraire

Chronique de Coline Meurot

Librairie L'Interligne (Lille)

Albin Michel nous fait (re)découvrir cette pépite de Franck Pavloff, accompagnée d’illustrations du célèbre artiste de Street art C215. Dans cette fable parue il y a plus de quinze ans, nous trouvons malheureusement toujours un écho à l’actualité. À lire et faire lire autour de soi !

Que dire de Matin brun à ceux qui ne l’ont pas lu ? C’est une nouvelle allégorique. Un texte d’une dizaine de pages, comme un coup de poing. Publié en 1998 par Cheyne et vendu aujourd’hui à deux millions d’exemplaires, cette fable universelle traduite dans vingt-cinq pays décrit la montée en puissance d’un pouvoir totalitaire. « C’est vrai que la surpopulation des chats devenaient insupportable, et que, d’après ce que les scientifiques de l’État national disaient, il valait mieux garder les bruns. Que les bruns. Tous les tests de sélection prouvaient qu’ils s’adaptaient mieux à notre vie citadine, qu’ils avaient des portées peu nombreuses et qu’ils mangeaient beaucoup moins. » Après les chats, viendront les chiens et les autres… Au fur et à mesure de l’apparition de ces règles imposées par l’État national, le personnage se pose des questions, se demande ce qu’il doit faire, penser. J’ai lu Matin brun pour la première fois quand j’avais 12 ans. Je le relis aujourd’hui à la lumière des illustrations de C215 et je redécouvre cette fable avec un regard nouveau. À chaque âge, chaque moment de la vie, dans chaque pays on peut y lire quelque chose de différent : la suppression des plus faibles, la science au service de l’idéologie, la répression brutale des voix d’opposition, etc. Les fresques murales réalisées au pochoir accompagnent le texte. Des visages d’enfants, de jeunes, de vieux qui semblent nous dire : « Et toi, tu ferais quoi ? » Il n’y a chez l’auteur aucune volonté de se dresser en moralisateur, mais on lit ce livre comme une perpétuelle mise en garde contre le pire de la nature humaine. En relevant les petites démissions quotidiennes, Franck Pavloff décrit des hommes désabusés et leur léger sursaut de conscience avant de baisser les bras. Avec les illustrations de C215, Matin brun connaît une nouvelle vie. L’artiste français, reconnu par les plus grands du Street art, affiche des portraits sur les murs du monde entier. Originaire de Vitry-sur-Seine, il œuvre à la transformation de la ville en se réappropriant la rue. Son art est ancré dans les lieux où il travaille. Il donne un visage aux sans-droits et aux anonymes qui habitent ces zones délaissées. Il a fait de son œuvre une arme contre l’intolérance, le racisme et le sexisme, et sa collaboration avec Franck Pavloff s’inscrit dans cette démarche. Les portraits des quatre coins du monde, de Sao Paulo à Essaouira en passant par New Delhi, renforcent la dimension universelle du texte : nous nous devons de rester vigilants partout et tout le temps. Qu’on le lise en 1998, 2002, 2014 et certainement encore en 2020, Matin brun restera un texte majeur, désormais indissociable des œuvres de C215. À offrir et à s’offrir absolument en cette fin d’année !