Bande dessinée

Joseph Safieddine , Loïc Guyon

L’Enragé du ciel

illustration

Chronique de Audrey Dubreuil

Librairie Ellipses (Toulouse)

Commercial calamiteux, génial inventeur de la photographie aérienne, séducteur patenté, patriote engagé, mais surtout aventurier et aviateur invétéré, Roger Henrard fait partie de ces figures de l’aviation qui donnent envie de prendre des cours de pilotage pour goûter aux joies du monde d’en haut.

La notoriété de certains pionniers de l’aéronautique, tels Roland Garros, Louis Blériot, Saint-Exupéry ou Lindberg occulte souvent le destin d’autres pilotes, dont les exploits ne brillent peut-être pas aussi fort aux yeux du grand public, mais qui mériteraient tout autant d’être mis en scène. Ainsi, deux parutions nous offrent l’occasion de (re)découvrir certains d’entre eux : Charles Nungesser, qui avec François Coli tenta la première traversée de l’Atlantique en 1927, épisode relaté par Fred Bernard et Aseyn dans Nungesser (Casterman. Lire l’article du libraire dans le numéro de Page de la Rentrée), et Roger Henrard. C’est tout l’intérêt de L’Enragé du ciel que de nous faire découvrir une personnalité hors du commun, un homme prêt à tout pour prendre les commandes d’un avion et goûter à la liberté de voler. Fils d’un entrepreneur qui veut voir ses enfants prendre part à son empire industriel, Roger Henrard ne semble rien savoir faire d’autre que dépenser l’argent de son père. Dilettante incapable de garder un emploi, il est malgré tout embauché comme mécanicien au sein d’une entreprise d’aéronautique. Son rêve de gosse, celui de voler, resurgit alors avec une force et un appétit incontrôlables. Car de l’appétit, il en a, Roger Henrard. Pilote autodidacte, faisant fi du danger, il dépense sans compter en achetant des avions qu’il crashe au gré de ses facéties. Noceur compulsif, l’argent lui offre l’occasion de donner des fêtes dispendieuses et de séduire des femmes grisées par ses exploits. Inventeur de l’appareil photo pour prises de vue aériennes, il sera le premier pilote autorisé à survoler Paris et à photographier la capitale depuis le ciel (des photos visibles aujourd’hui au musée Carnavalet, à Paris). Cette invention, couplée à ses talents de pilote, lui permettra de servir son pays en qualité d’espion durant la Seconde Guerre mondiale. Passant de façon intrépide au-dessus des lignes ennemies, essuyant le feu nourri de ses adversaires à chacune de ses missions, il bénéficie d’une chance insolente et revient toujours indemne. Joseph Safieddine, scénariste du très remarqué Yallah bye ! (Le Lombard), relate avec brio l’histoire de son arrière-grand-père, figure héroïque méconnue. Loïc Guyon, quant à lui, met ce récit en images de façon remarquable en recourant à un trait énergique, au style naïf et aux contours irréguliers, qui n’est pas sans rappeler le travail de Christophe Blain. Un album résolument original sur un thème pourtant souvent traité en BD : l’aviation pendant la Seconde Guerre mondiale. Avec le talent qui les caractérise, ces deux auteurs réalisent une fresque trépidante, à la fois drôle et émouvante, qui nous entraîne à cent à l’heure dans le sillage d’un homme dont le désir de vivre n’avait d’égale que la soif d’aller au bout de ses rêves.

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