Littérature étrangère

Rebecca Makkai

J'ai quelques questions à vous poser

✒ Audrey Dubreuil

(Librairie Ellipses, Toulouse)

En 2020, Rebecca Makkai nous avait enthousiasmés avec son roman Les Optimistes qui racontait le quotidien d'une bande de copains au sein de la communauté homosexuelle de Chicago, au début des années Sida. Ce magnifique récit était doublé d’une réflexion sociologique forte, composante essentielle du travail de l'auteure, que l'on retrouve dans cet intrigant nouveau roman.

Bodie Kane est journaliste et coréalisatrice d'une série de podcasts sur le cinéma et les faits divers. Invitée à donner des cours dans la prestigieuse école de Granby où elle fut elle-même  pensionnaire plus de vingt ans auparavant, elle replonge dans un événement qui a marqué sa scolarité : l'assassinat de sa colocataire Thalia, une jeune fille appréciée de tous. Cette dernière avait été retrouvée noyée dans la piscine de l'école et l’enquête avait rapidement conduit à l’arrestation d'un entraîneur sportif noir, à peine plus âgé que les étudiants dont il avait la charge. Alors qu'elle a toujours essayé de taire ses doutes sur la culpabilité du jeune homme, son retour à Granby fait resurgir dans l'esprit de Bodie un passé qui ne semble pas pouvoir rester enfoui plus longtemps. Dès les premières lignes, on serait tenté de classer ce livre dans la case des thrillers psychologiques, de ceux qui accrochent le lecteur en quelques phrases pour ne plus le lâcher. C'est indéniablement le cas de ce roman mais il est bien plus que cela. Tout comme dans Les Optimistes, l'auteure y interroge notre société et ses travers ainsi que la force des liens qui unissent ceux qui, par choix ou par la force des choses, forment une communauté. Ces liens consolent et réconfortent mais peuvent aussi, parfois, révéler ce qu'il y a de pire en nous. Ainsi, dans J'ai quelques questions à vous poser, Rebecca Makkai prend-elle l'exemple d'un lieu replié sur lui-même, d'une communauté estudiantine qui vit quasiment en vase clos et à laquelle elle fait vivre l'expérience traumatique d'une tragédie. Dès lors, elle interroge la part d'ombre et les non-dits que chaque relation (amicale, amoureuse ou de domination) recèle. Elle décortique cet âge trouble qu'est l'adolescence à la lumière des révélations qui lui sont faites quelque vingt ans plus tard mais aussi à travers le prisme de son regard d'adulte et celui des bouleversements qu'a connus la société. Une question se pose alors : serait-elle en train de réécrire l'histoire (la sienne, celle de ses camarades et, bien évidemment, celle de Thalia) ou apporte-t-elle un éclairage nouveau à cette affaire en interrogeant ce crime à l'aune de l'évolution d'une société qui parle enfin ouvertement de consentement, de féminicide et de domination masculine ? Si vous ne connaissez pas encore Rebecca Makkai, précipitez-vous sur ce récit addictif et ô combien pertinent, avant de vous immerger sans restriction dans Les Optimistes, roman lumineux et bouleversant !

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