Littérature française

Louis-Ferdinand Céline

Guerre

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Chronique de Betty Duval-Hubert

Librairie La Buissonnière (Yvetot)

Ce sont l’étonnement et la stupéfaction qui agitent le lecteur de la première à la dernière page de ce manuscrit retrouvé. Il est difficile d’admettre Guerre comme un texte de premier jet tant la narration est aboutie. Les fulgurances stylistiques flamboient et le ton cingle. C’est exceptionnel.

Ce texte inédit, retrouvé en 2021 de manière tout aussi énigmatique qu’il disparut il y a soixante-dix ans, pourrait engendrer une autre fiction tant l’itinéraire de ce manuscrit de Louis-Ferdinand Céline est romanesque. Guerre, ce sont 156 pages de tumulte et de férocité, une plongée au cœur du chaos de la Grande Guerre en octobre 1914, dans le sang, les douleurs lancinantes et dévorantes, le déchaînement d’une violence inouïe, d’un fracas assourdissant. Et puis il y a le sexe, omniprésent, qui semble tellement amuser le narrateur et octroie au lecteur de multiples éclats de rire. Les situations sont incongrues, surprenantes, follement drôles, terriblement ironiques et désabusées. Violemment blessé à la tête, le narrateur est ainsi transféré au sein d’un hôpital de campagne (l’ambulance), proche d’une bourgade éloignée des feux et des bombardements. Tenaillé par des douleurs immenses et intenses, tiraillé par la peur de la mort et d’être mis en cercueil au Lazaret trop hâtivement, en même temps que l’envie d’en finir le préoccupe, il oscille entre la vie et la mort, se jouant des deux. Opportuniste, s’arrangeant des situations, il savoure les réveils en sursaut provoqués par l’infirmière, Mademoiselle L’Espinasse, fort habile de ses mains. Il se positionne alors, l’air de rien, sous sa protection. Dans un jeu de dupes élégamment entretenu, cette protection s’avère fort utile en ces temps de guerre où la suspicion règne et où chacun tente de sauver sa peau, manipulant vérités et mensonges en fonction des interlocuteurs concernés. Dans cet univers de déchirures, de cris, de souffrances, de jalousies et de désirs, Louis-Ferdinand Céline décrit avec cynisme et fureur un microcosme soldatesque où la beauté et l’obscénité se côtoient. Avec crudité et une férocité propres à l’auteur de Mort à crédit, Guerre donne aussi à entendre une désespérance et une sincérité dans le marasme des désillusions. Inspirée de faits réels, basée en partie sur des éléments autobiographiques, Guerre est avant tout une œuvre magistrale de fiction, écrite dans une langue sublime, fourmillant d’incroyables inventions langagières et de génie. Les publications de Londres et de La Volonté du roi Krogold, prévues normalement à l’automne 2022 et en 2023, sans oublier les feuillets complémentaires de Casse-pipe, permettront de suivre les aventures du brigadier Ferdinand après les mois de brutalité guerrière et de convalescence relatés dans Guerre.