Littérature française

Pierre Daymé

El Dorado

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Chronique de Anne-Sophie Rouveloux

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Même si le titre évoque un endroit idyllique, il s’agira pour le lecteur d’avancer à l’aveugle, en compagnie d’une narratrice obsédée par ses souvenirs, qui se révélera de plus en plus effrayante.

Faire une chronique sur El Dorado, c’est déjà trop en dire. Il faudrait pouvoir se lancer dans la lecture à l’aveugle, en suivant la narratrice, Catherine, fraîchement débarquée sur cette île au large de l’Italie qui, pour elle, est un endroit chargé en émotions. Trente ans plus tôt, elle célébrait ses noces avec Christian qui doit la rejoindre. Elle est si nostalgique de cette époque qu’elle porte aujourd’hui la même robe. Cela ne l’empêche pas d’apprécier la résidence où elle se trouve. Une romancière illustre y aurait vécu et cela tombe bien car Catherine est une lectrice. Elle admet bien volontiers que, parfois, elle a du mal à se souvenir correctement de tout ce qu’elle a lu. Cela ne semble pas être le cas pour son passé et, à mesure qu’elle se dévoile, l’héroïne s’assombrit. De plus, ses fantasmes sont morbides, c’est évident. Mais c’est la manière dont elle regarde le monde qui est la plus inquiétante. Tout autour d’elle, sur cette île qu’on aurait imaginée paradisiaque, elle ne voit que des êtres à la chair flasque. Tout est laideur et elle le note froidement. Il n’y a dans son discours aucune surprise, on dirait que cette manière d’observer est une habitude. Lire ses pensées en dit long sur elle et, petit à petit, le malaise s’installe. Il ne quittera pas le lecteur mais s’intensifiera. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus. Imaginez-vous assis à l’arrière d’un bolide qui roule à toute allure, sans connaître vraiment la conductrice, avec pour seul horizon le paysage derrière les vitres, qui ne cesse de s’assombrir. Lire El Dorado, c’est un peu ça. C’est une errance sombre, très sombre en compagnie d’une femme « désaccordée ». Le choc de lecture est à la mesure du plaisir qu’un libraire ou bibliothécaire prendra à le conseiller. Car ce roman est intense, glaçant, parfait.

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