Romy Hall, ancienne strip-teaseuse, mère d’un petit garçon, est incarcérée dans une prison pour femmes, en Californie. Pour avoir tué l’homme qui la harcelait, elle a été condamnée deux fois à perpétuité. Les souvenirs de Romy qui a grandi dans les rues de San Francisco et les rudes conditions de détention de ces femmes emmènent le lecteur dans un monde aux antipodes du rêve américain. Le Mars Club est un ouvrage nécessaire, capable d’ouvrir nos yeux et de développer notre empathie.
PAGE - Comment vous est venue l’idée d’écrire sur des femmes en prison ?
Rachel Kushner - Ce n’est pas tant un livre sur des femmes en prison qu’un livre sur notre époque, aux États-Unis. Quand j’ai terminé mon dernier roman en 2012, j’ai décidé de me documenter sur le système de justice pénale. C’était important pour moi de faire ça, pas en tant qu’écrivain, mais en tant que citoyenne américaine, pour comprendre comment la société était structurée. J’ai grandi avec des gens qui ont connu la prison et qui ont eu des vies très différentes de la mienne. En ça, le livre est un désir de renouer avec le passé. C’est aussi pour moi l’occasion d’évoquer les classes sociales. La prison n’est pas un sujet de niche. Toute personne voulant comprendre comment la société s’organise devrait jeter un œil à ce que nous faisons de ces gens pris dans le système judiciaire. Et les femmes y sont sous-représentées. En Californie, nous avons un des plus grands systèmes pénitentiaires du pays. J’ai été bénévole pour une organisation de défense des droits de l’homme. J’ai fait ça pour moi, pas pour le livre. Mais cela m’a donné une certaine « autorité » pour écrire sur ce sujet. Une fois par mois, je faisais cinq heures de route pour me rendre à la prison et rencontrer des bénévoles. Le Mars Club parle de la Californie et de ces membres de communautés urbaines qui se retrouvent projetés dans de vastes étendues industrielles.
P. - Romy a grandi dans les rues, elle a fait de son mieux pour s’en sortir et être une bonne mère. Pourtant, la violence a fini par la rattraper. C’est dur à dire mais est-ce qu’elle n’avait pas les mêmes chances, dès le départ ?
R. K. - Romy n’était pas condamnée dès le départ. Je ne voulais pas écrire une histoire selon cette perspective. Quand le livre s’ouvre, elle purge une double peine à perpétuité et elle s’interroge, tout en informant le lecteur, sur les circonstances qui l’ont menée là, dans ce bus. C’est très humain de regarder en arrière et de trouver une logique dans ce qu’il nous arrive. Et dans son cas, bien sûr, il y en a une : si elle était née en France ou en Hollande, elle ne passerait pas la fin de ses jours en prison. Elle aurait écopé de huit ou dix ans, non ? Aux États-Unis, les personnes qui vont dans une prison d’État pour purger une longue peine sont toutes issues de milieux défavorisés. Elle n’avait pas besoin de tuer Kurt mais quand on parle avec les gens, on découvre toujours que la situation est plus compliquée qu’elle n’y paraît. Personnellement, je ne vois pas comment je pourrais juger quelqu’un alors que je n’ai pas eu sa vie. Dans le livre, le personnage de Gordon dit : « Je n’ai jamais connu de pire homme que moi-même », ce qui s’inspire des propos d’Henry David Thoreau. Ce sont les gens qui peuvent expliquer leurs actes et leurs choix. En tant qu’écrivain, heureusement, je ne suis pas un juge.
P. - L’avocat qui défend Romy au tribunal connaît à peine son dossier et personne ne s’intéresse à ce qu’il lui est arrivé. Pire, on lui retire ses droits parentaux et elle ne sait même pas ce que devient son propre fils. C’est vraiment ça le système judiciaire ? Une machine à broyer des êtres humains, à les envoyer dans des prisons pleines sans réfléchir ?
R. K. - C’est différent mais cela ressemble à la loi « ICE » que soutient notre gouvernement. Elle est censée renforcer les contrôles aux frontières et sépare les enfants de leurs parents. Leur attitude consiste à dire que si les parents ne veulent pas être séparés de leurs enfants, ils ne doivent pas venir aux USA. Ils rejettent la faute sur les parents, sans tenir compte de la souffrance des enfants. Le système judiciaire fonctionne comme ça, en un sens. Dans le livre, Gordon demande à une gardienne si ça l’ennuie de voir des femmes séparées de leurs enfants, lors des visites des familles. Elle répond qu’au départ c’est dur et qu’après, on s’y fait. Avant d’ajouter : « Mais vous savez, c’est leur faute. Si elles avaient voulu voir leurs enfants grandir, elles n’auraient pas commis de crime. » Les femmes qui travaillent en prison viennent aussi d’environnements défavorisés. Elles n’ont besoin que d’un diplôme et elles sont bien payées, mais après c’est une énorme concession. Elles travaillent dans un environnement qui n’est pas sain. Elles sont obligées de s’endurcir et elles finissent par se convaincre que les détenues sont là par choix.