Littérature étrangère

Wilhelm Genazino

Une petite lumière dans le frigo

illustration

Chronique de Jean-Baptiste Hamelin

Librairie Le Carnet à spirales (Charlieu)

Genazino poursuit son œuvre sur la bizarrerie du monde avec l’élégance raffinée de celui qui a vécu et observé ses contemporains au travers d’un prisme coloré. Cela lui permet d’être tendre et méchant, mélancolique et joyeux. Une petite lumière dans le frigo est une grande lumière littéraire.

Architecte free-lance, le nouveau héros de Genazino est un observateur doux, rêveur, un brin désabusé de la vie. Il tangue, va où ses pas le portent, s’attarde sur des détails, regarde avec curiosité l’excitation qui l’entoure, et est incapable de se décider à acquérir des biens, car l’activité consumériste l’étonne sans réellement le révolter. Tout simplement, cela n’est pas pour lui. Il vit tranquillement. Il est heureux ou plus exactement pas malheureux de son sort et de sa relation avec Maria, fidèle et alcoolique maîtresse. Genazino est un funambule, un jongleur. Il marche sur un fil, équilibriste facétieux tout en jonglant avec de petites pensées, des actes minimes, drôleries désabusées. Tout cela vacille lorsque cet attachant architecte endosse le costume d’un mort… Michael Autz est décédé subitement. Il travaillait comme architecte dans un cabinet. Notre héros maladroit deviendra le double d’Autz, le remplaçant dans son bureau mais aussi dans son lit. Nourri de remords, il retardera l’instant fatidique où il deviendra l’amant de la veuve. Il retardera cet instant où tout basculera. Il retardera l’instant crucial où il aura le sentiment d’être devenu un usurpateur. Doté d’une faible volonté, il ne pourra infléchir le cours de l’histoire. Alors, pour fuir cette vie autre, il franchira les limites de la Loi. Il commettra une escroquerie, acte de bravoure qui le conduira en prison.
En phrases courtes, en enchaînements malins, Genazino donne un rythme agréable à son roman et pose un regard ironique mais lucide sur la société. Il est un spectateur, son écriture s’en ressent. D’une phrase à l’autre, il délaisse l’essentiel et le visible, et se passionne pour des détails, des futilités, des regards de gosse sur un monde d’adulte. Alors, ces détails deviennent l’essentiel. Finalement, nous devrions essayer de porter sur le monde ce regard. Nous devrions essayer de transformer des petites scènes entrevues, comme ce canard endormi sur une patte que l’architecte trouve merveilleux, en petits bonheurs. La vie s’en trouverait plus colorée. Attention toutefois, ce roman n’est pas naïf, futile, niais… Non ! ce roman est intelligent. Grâce à son rythme, il se dote d’une profondeur remarquable. Ces regards faussement candides sur le monde accentuent la gravité du propos, en enrobant sa méchanceté et son cynisme d’une cuillérée de miel. Une perle de la littérature allemande à découvrir absolument !

 

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